
5 min
Train qui déraille et nuage toxique en Ohio : c’est quoi cette histoire ?
Esther Meunier
Esther Meunier
Après le porte-avion coulé en plein océan Atlantique, voilà une autre histoire de pollution industrielle massive qui risque de causer des dégâts à l’environnement et à la santé des personnes impactées. Cette fois-ci, c’est un train qui est en cause.
On rembobine : le 3 février dernier à presque 21h, dans la petite ville d’East Palestine en Ohio, au nord-est des États-Unis, un train déraille pour des raisons encore peu claires (ça pourrait être une surchauffe au niveau d’un essieu de wagon/des roues, pour l’instant l’enquête est encore en cours).
L’accident ne fait aucune victime directe, mais un incendie se déclare et surtout, problème…
Si beaucoup de gens ont déjà évacué la zone qui entoure immédiatement le site de l’accident, les autorités appellent les dernier·ères résident·es à quitter leur domiciles quelques jours après l’accident, parce qu’ils craignent une explosion.
Pour éviter celle-ci, autorisation est donnée de relâcher le chlorure de vinyle de manière « contrôlée », en le brûlant… ce qui a produit un immense panache de fumée et conduit à l’émission de chlorure d’hydrogène et de phosgène (ce dernier étant un gaz hautement toxique pouvant causer des troubles respiratoires, des vomissements, et qui a été utilisé comme arme pendant la Première guerre mondiale 🤢).
Évidemment, la situation inquiète beaucoup les résident·es d’East Palestine, qui trouvent que la communication des autorités manque de transparence (bonus : pas mal de fake news circulent aussi, comme de fausses images, compliquant encore la compréhension du problème).
Mais alors jusqu’ici, qu’est-ce qu’on sait des conséquences de cet accident ?
Il y a eu un panache de fumée, mais des produits se sont aussi déversés dans les cours d’eau, ce qui a nui à la biodiversité locale : 3500 poissons morts ont été dénombrés au 8 février, de 12 espèces différentes dont les vairons, darts ou chabots.
Aucune de celles-ci n’est menacée, mais il y a davantage d’inquiétudes pour les hellbenders → une sorte de salamandre de 60 cm de long, une espèce en danger dans la région. Des scientifiques essaient depuis des années de combattre le déclin des populations en prélevant des œufs pour réintroduire les salamandre plus âgées, quand elles ont plus de chances de survie.
Gregory Lipps, un scientifique qui participe au projet, a été interviewé par le New York Times. Il espérait que la période de torpeur dans laquelle sont les salamandres à cette époque de l’année leur permettrait peut-être de ne pas être trop affectées : « une exposition courte à des polluants chimiques n’aura peut-être pas trop d’impacts, je ne sais pas ».
Le truc c’est que justement, il est difficile de savoir quels vont être les effets à long terme de cette pollution : les sols touchés n’ont pas encore été enlevés, et ils « continueront à évacuer des contaminants à la fois dans l’air et le sol environnant » en particulier à chaque fois qu’il pleut, selon Richard Peltier, un scientifique en santé environnementale à l'Université du Massachusetts à Amherst, interviewé par CNN.
Les inquiétudes étaient légitimes puisque le chlorure de vinyle peut entraîner des étourdissements, maux de tête, de la somnolence et augmente le risque de développer certains cancers, notamment une forme rare de cancer du foie en cas d’exposition chronique.
Les autorités se sont voulues rassurantes : une dizaine de jour après l’accident elles ont affirmé avoir conduit des tests de qualité de l’air pendant que les produits brûlaient et après, y compris à l’intérieur de centaines d’habitations, et qu’elles n’avaient pas relevé la présence de produits à des niveaux dangereux pour la santé (d’où le fait que les résident·es aient été autorisé·es à rentrer chez eux).
Un certain nombre d’habitant·es d’East Palestine affirment encore souffrir de nausées et de maux de tête, mais l'Agence de Protection de l’Environnement (EPA) a expliqué que l'inhalation de produits chimiques, même en faible quantité pouvait produire ce genre d’effets sans que ce ne soit vraiment dangereux pour la santé.
Du côté des eaux contaminées, les autorités se sont encore une fois voulues rassurantes, affirmant que les ressources en eau potable n’avaient pas été touchées. Elles ont quand même incité les particuliers se fournissant dans des puits privés à les faire tester. Certaines entreprises du secteur de l’eau ont aussi fermé leurs sources d’approvisionnement par précaution.
Le panache de produits continue de se diluer dans l’eau à mesure que le courant l’emporte, mais selon l’EPA la quantité n’est pas suffisante pour que ce soit dangereux pour les approvisionnements des villes se situant plus bas sur le cours d’eau.
Le problème c’est que beaucoup d’habitant·es trouvent que les informations ont été communiquées trop tard, pas de manière suffisamment transparente : il y a donc beaucoup de méfiance vis-à-vis des autorités.
Surtout, d’après Erik Olson, directeur stratégique pour la santé et l’alimentation au Natural Resources Defense Council cité par le New York Times, les dangers pour la santé humaine en cas d’accident chimique peuvent perdurer dans le temps :
En gros, « il y énormément d’incertitudes » a résumé Donald S. Holmstrom, ancien directeur de l’agence fédérale qui enquête sur les accidents industriels et chimiques, lui aussi cité par le New York Times. Il faudra donc des analyses dans la durée.
Les eaux vont être traitées dans les affluents de la rivière Ohio, ce qui devrait permettre d’éliminer les contaminants d’après Tiffani Kavalec, responsable pour les eaux de surface à l’EPA.
Pour les sols, enlever les surfaces contaminées est une étape cruciale pour de nombreux expert·es, pour éviter que la contamination se poursuive et infiltre encore plus les écosystèmes.
L’EPA de l’Ohio et l’EPA fédérale ont assuré qu’elles resteraient impliquées pour superviser le nettoyage à long terme, mais c’est la compagnie ferroviaire qui pourrait devoir payer pour le nettoyage du site (qui risque de coûter des millions 💸).
Ça pose aussi un certain nombre de questions sur la sécurité du transport ferroviaire : un spécialiste cité par le Guardian affirme par exemple que le prochain accident pourrait être « cataclysmique ».
En résumé : c’est pas jojo 🤷♀
National Cancer Institute - Substances : Vinly Chloride
National Transportation Safety Board - NTSB Issues Investigative Update on Ohio Train Derailment
Associated Press - Officials urge evacuation near derailment, fearing explosion
Associated Press - Crews release toxic chemicals from derailed tankers in Ohio
Associated Press - Upset Ohio town residents seek answers over train derailment
Bloomberg - Ohio Train Derailment Could Bring Cancer Risk, Millions in Damage
New York Times - After the Ohio Train Derailment: Evacuations, Toxic Chemicals and Water Worries
New York Times - Health and Environmental Fears Remain After Ohio Derailment and Inferno
CNN - A week after evacuations near the toxic Ohio train wreck ended, anxious residents pack meeting to express doubts about safety
The Guardian - Ohio catastrophe is ‘wake-up call’ to dangers of deadly train derailments
Crèmes solaires, pesticides... Ces produits chimiques qui font du mal aux coraux
Fukushima : le Japon relâche les eaux contaminées de la centrale nucléaire
C'est quoi le scandale avec les algues vertes ?
Que faut-il savoir sur le premier traité contre la pollution plastique ?
Eau du robinet contaminée à grande échelle par un pesticide : faut s’inquiéter ?
C’est quoi cette histoire de porte-avions qui a coulé dans l’Atlantique ?
Lien copié !
Article enregistré !