Aujourd’hui : la parole à Sibusiso Mazomba, étudiant de 21 ans en océanographie, géographie et sciences de l’environnement à l’Université de Cape Town. Il poursuit son gouvernement en justice pour stopper les investissements dans le secteur du charbon !
L’Afrique du Sud est plongée dans une énorme crise énergétique. Nous, activistes écolo, pensons que c’est une grosse opportunité pour une transition juste vers les énergies renouvelables. Nous voulons « annuler le charbon » (#CancelCoal en VO), et même si ça va nécessiter du travail, on est prêt·es : on a emmené le gouvernement devant la justice, et c’est pas notre premier combat.
Je suis impliqué dans l’activisme écolo depuis 2017. Mais comme j’ai grandi à Soweto, je n’étais pas très conscient des problématiques environnementales lorsque j’étais plus jeune. Les townships* mis en place par le régime de l’apartheid* étaient faits pour isoler la population noire loin du centre-ville, mais aussi loin des espaces naturels.
Heureusement, mes parents m’ont envoyé à l’école hors de Soweto, donc tous les jours je faisais le trajet entre Soweto et le centre-ville, et c’est ce qui m’a permis d’élargir mon horizon. En 2017, mon école a créé un club de débat. Ça a été mon point d’entrée : ça a éveillé un intérêt pour les multiples crises que nous traversons, comme les immenses inégalités socio-économiques en Afrique du Sud, l’effondrement de la biodiversité, le changement climatique, et bien d’autres.
En ayant compris l’urgence, je devais agir, faire quelque chose par moi-même. Ça a commencé en contactant la ville de Johannesburg qui travaillait sur un plan d’action climat, en disant que nous les jeunes, nous voulions faire partie de ce processus. Et de là on a eu la possibilité de collaborer sur un plan d’action national aussi, qui est aujourd’hui utilisé par la plupart des décideur·euses politiques dans le pays, et aussi de commencer à travailler avec l’African Climate Alliance, un mouvement mené par des jeunes. C’est là que je suis vraiment devenu activiste.
L’African Climate Alliance, GroudWork et le Vukani Environmental Movement sont en plein dans une grosse campagne en ce moment : « Cancel Coal », pour « annuler le charbon ». On sait que le charbon est la pire forme d’énergie pour le climat, mais il a aussi un impact sur les communautés qui vivent près des mines ou centrales à charbon. Par exemple, à Emalahleni (qui veut littéralement dire « l’endroit du charbon » en Zulu), il n’y a pas de considérations pour les gens. Un nombre croissant de cas d'asthme et d’autres maladies respiratoires ont été répertoriés à cause de leur proximité avec les mines de charbon, mais même les hôpitaux ne fonctionnent pas comme ils le devraient.
Représenté·es par le Centre pour les droits de l’Environnement, nous avons demandé au gouvernement quelles étaient ses raisons pour inclure ces nouveaux investissements dans le charbon dans le Plan de Ressources Intégrées (un plan qui définit la politique énergétique du pays) alors qu’il s’était engagé à accroître notre capacité côté énergies renouvelables...
Au début, il ne voulait pas nous donner de vraie réponse. Alors on a porté l’affaire devant la justice, et après des mois de travail, la Haute Cour de Pretoria a statué tout récemment : le gouvernement doit rendre publics les documents qui ont mené à cette décision.
Maintenant qu’on a remporté cette première victoire, la procédure judiciaire va se poursuivre avec d’autres demandes. Nous devons faire face aux intérêts pour le profit, aux lobbies, c’est énormément de travail ! Et en parallèle, on essaie de sensibiliser le grand public.
Ils achètent ce charbon à des pays comme l’Afrique du Sud et l’Inde, donc c’est très contre-intuitif de dire à nos communautés que nous, nous devons sortir du charbon, alors que des pays riches en utilisent toujours et nous en achètent.
C’est urgent d’avoir un mouvement mondial plus fort contre les énergies non-renouvelables, sous le principe de « responsabilité collective mais différenciée », en gros l’idée qu’on ait tous un rôle à jouer face au changement climatique, mais pas forcément le même selon la responsabilité historique des pays.
C’est pas facile, mais je crois que le plaidoyer* est un bon outil pour faire changer les choses. J’ai aussi appris énormément en ayant la chance d’aller à la COP26 puis à la COP27, en tant que négociateur junior pour mon pays sur des sujets comme les océans, le renforcement des capacités ou la finance. L’Afrique du Sud fait partie du peu de pays qui envoie de jeunes activistes en tant que délégué·es des Parties (= membre des équipes de négociations officielles des pays), pour que nous ayons réellement accès aux négociations et que notre voix soit entendue, ce qui est très important. Ce sont des portes sur lesquelles on a toqué longtemps, et c’est une immense réussite qu’elles nous soient enfin ouvertes.
J’espère que les années à venir nous verrons aussi réussir à mettre en place une transition juste vers un autre modèle énergétique, pour construire de la résilience tout en protégeant les vies et moyens de subsistance des communautés locales. J’espère que mes études en océanographie et en sciences de l’environnement me serviront pour poursuivre mon engagement écolo.
Suis Sibusiso sur ses réseaux pour découvrir le reste de son action :
Townships : Quartiers mis en place par le régime d’Apartheid, réservés aux populations noires et coloured, mal équipés et déservis et qui peuvent s’apparenter à des bidonsvilles.
Apartheid : Régime de discrimination systématique mis en place en 1948 par le Parti National représentant la minorité blanche en Afrique du Sud, fondé sur le développement séparé des populations blanches, indiennes, couloureds (ou métis) et noires. Il a été aboli officiellement en 1991, avant l’élection de Nelson Mandela en 1994.
Pays du Nord : Appellation qui a émergée dans les années 80, pour qualifier les pays dits « développés », plus riches, même si aujourd’hui des nuances peuvent être apportées.
Plaidoyer : Faire du plaidoyer, c’est porter des messages auprès des institutionnels et des politiques, afin d'influencer les décisions et obtenir les changements de politiques ou de règles recherchés. Ça se rapproche du lobbyisme, mais c’est un mot généralement utilisé pour qualifier les démarches d’associations ou d’activistes plutôt que d’entreprises ou d’industries.