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Et si les satellites surveillaient les émissions CO2 et la déforestation ?
Pauline Vallée
🤝 En partenariat avec Surfrider Foundation Europe
Pauline Vallée
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Suivre l’évolution du réchauffement climatique, ou la destruction de la biodiversité, ça se fait pas par magie : les scientifiques doivent suivre plein de facteurs (comme la concentration de CO2 dans l'atmosphère par exemple) sur une grande période de temps, et surtout sur de très grandes zones (genre potentiellement la planète toute entière).
Et pour faire ce boulot, heureusement, les satellites peuvent filer un sacré coup de main ! Ces objets qui tournent au-dessus de ta tête peuvent prendre des photos de la surface de la Terre, mesurer des éléments de l'atmosphère… et même repérer des gros bails genre la destruction d’une forêt ou un méga-feux 🔥
Microcarb est un (petit) satellite d’observation qui devrait voler à partir de fin 2024 → pendant 5 ans il va tourner autour de la Terre pour cartographier la concentration du CO2, un des principaux gaz à effet de serre responsables du changement climatique, dans l’atmosphère
« Il existe déjà, dans certains pays, des stations au sol qui mesurent le CO2, mais le besoin est de couvrir régulièrement l’ensemble de la Terre » explique Philippe Landiech, chef du projet Microcarb au CNES.
« Le satellite va arpenter toute la surface de la planète, il sera capable de repérer les zones qui émettent du CO2, ou celles qui en absorbent, avec beaucoup de précision. Et aussi voir comment cette concentration du CO2 dans l’atmosphère évolue au cours du temps. »
Les données du satellite Microcarb seront en accès libre, ouvertes au monde entier → des sociétés pourront les retravailler pour en tirer des enseignements à transmettre au grand public ou développer des applications !
D’autres, comme l’entreprise Kayrros, ne lancent pas leurs propres satellites, mais analysent les données déjà fournies par des satellites publics (comme ceux de Copernicus, la NASA…) et/ou privés.
L’entreprise utilise ces images, et, selon ce qu’elle cherche, va les analyser avec un algorithme → en gros, l’ordinateur est entraîné à repérer certains éléments dans une image, et grâce à sa puissance de calcul, il va pouvoir traiter énormément d’images.
Aujourd’hui, Kayrros est capable de détecter la concentration en méthane (un autre gaz à effet de serre super-polluant) dans l’atmosphère à partir de cartes infrarouge de la Terre.
« On procède en 2 étapes, explique Marion Messador, product manager chez Kayrros. D’abord, on détecte un “événement” : une concentration en méthane au-dessus d’un certain niveau dans une zone. » L’entreprise cherche ensuite à attribuer cet événement (en gros, trouver qui émet tout ce méthane ?) : elle analyse à une échelle très fine (parfois à 10 mètres près !) les émissions de méthane pour repérer d’où elles viennent.
Cette analyse sur des images satellites leur permet de détecter, chaque année, 1200 grosses fuites de méthane (et quand on dit grosses fuites, c’est genre + de 1 tonne de méthane rejeté par heure dans l’atmosphère !).
Kayrros est une entreprise privée, donc elle transmet ces infos à ses client·es, qui paient pour les recevoir. Mais parfois, ça va un peu au-delà.
« On est capables de vérifier ce qui est dit par les entreprises, les acteurs politiques. Les médias se servent parfois de nos résultats pour mener l’enquête » ajoute Marion Messador. Bloomberg s’est appuyé sur les données de Kayrros pour révéler une grosse fuite de méthane au Canada, et dénoncer le manque d’ambition climatique du pays.
The Guardian a aussi utilisé leurs données pour révéler d’énormes fuites de méthane au Turkménistan. Dans ce cas, c’est même allé plus loin : une fois l’info révélée, le pays a annoncé en juin dernier vouloir rejoindre un accord mondial sur le méthane 💪
Kayrros utilise aussi les images satellite pour suivre la déforestation, surtout dans les zones tropicales (Amazonie, Afrique, Asie du sud-est). Même bail que pour le méthane : « À l’échelle mondiale, on est capables de mesurer la présence de la forêt, mais aussi sa hauteur, sa densité, combien de CO2 elle absorbe… et repérer d’éventuels changements au fil du temps. »
L’entreprise a co-fondé, avec l’INRAE et le Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, le projet Biomass Carbon Monitor → il permet de suivre, à l’échelle mondiale ou pays par pays, quelle quantité de CO2 est stockée par la biomasse* végétale mondiale. Et pour ça, la plateforme utilise les données du satellite SMOS (lancé par l’Agence Spatiale Européenne) !
Autre exemple : au Brésil, le gouvernement a lancé en 1998 un système de collecte de données sur la forêt tropicale, basé sur les observations de 2 satellites. Ces données sont publiques depuis 2002 → la nouvelle version du système permet de surveiller la déforestation quasi en temps réel, et même d'envoyer des « alertes déforestation » aux agent·es de l'Institut national de recherche spatiale du Brésil 🌳📱
L’Agence européenne de sécurité maritime a créé CleanSeaNet, un système de surveillance par satellite capable de détecter et suivre l’évolution des marées noires* en Europe.
Concrètement, ces satellites vont mesurer la manière dont la surface de la mer va renvoyer un signal → si la mer contient un produit gras/huileux, elle va réfléchir le signal d’une certaine manière → ça révèle une pollution de l’eau. L’Agence européenne de sécurité maritime analyse ces données quasi en temps réel et les transmet aux États européens.
Cette surveillance a un effet dissuasif (les pollueur·euses sont moins tenté·es de balancer des trucs en mer s’ils savent qu’ils sont surveillé·es) + peut fournir des preuves dans des procès !
En janvier 2022, au cap de la Hève (à côté du Havre), un satellite de CleanSeaNet détecte une pollution à l’huile dans les eaux françaises → l’Agence européenne de sécurité maritime envoie une alerte.
« Il n’y a pas immédiatement de navire à proximité de la nappe de pollution, explique Cristina Barreau, chargée de projet déchets marins chez Surfrider Foundation Europe. L’EMSA vérifie donc quels sont les gros navires autour de la nappe, leurs trajectoires, pour déterminer si un bateau pourrait correspondre à cette pollution. »
Après analyse, un navire a été identifié comme potentiel responsable de la pollution, et se retrouve aujourd’hui devant les tribunaux.
« C’est la première fois en France qu’on engage des poursuites en se basant sur les détections satellite. Alors que les États européens reçoivent pourtant des centaines de détections de pollution chaque année. »
Cristina Barreau
« On pousse depuis des années pour aller plus loin, ajoute Cristina Barreau. Même si l’affaire n’aboutit pas sur une condamnation, elle va peut-être permettre aux détections satellite d’être plus acceptées comme preuves. »
Biomasse : Ensemble des matières organiques pouvant devenir une source d’énergie (le bois par exemple).
Marée noire : Déversement d’une grosse quantité de pétrole (ou de produits pétroliers) dans la mer, qui forme une nappe poussée vers la côte par le vent.
Sillage : Trace qu’un bateau laisse dans l’eau derrière lui, et qui montre sa trajectoire.
Interview de Philippe Landiech, chef du projet MicroCarb au CNES
Interview de Marion Messador, product manager chez Kayrros
Interview de Cristina Barreau, chargée de projet déchets marins chez Surfrider Foundation Europe
Financial Times - Kayrros: from tracking oil by satellite to tackling the climate emergency
CNES - Connaissez-vous MicroCarb, le petit satellite français de mesure du Co2 ?
CNES x QQF - Ce que les satellites révèlent de nos forêts
INPE - Uses and Applications
Copernicus - Tracking oil spills with Copernicus
EMSA - CleanSeaNet Service
Lighthouse reports - Europe’s Black Seas
Mer et Marine - Pollution : Un tribunal anglais condamne un navire sur la foi d’une image satellite
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