Quel est l'impact des guerres sur l'environnement ?

Les conflits armés ne font pas que des victimes humaines : malheureusement, la nature et les écosystèmes sont souvent au nombre des dégâts collatéraux. 

En environ un an et demi de guerre, depuis la reprise du conflit russo-ukrainien, le gouvernement ukrainien avait recensé plus de 2400 crimes environnementaux, comme la destruction du barrage de Kakhovka en juin 2023, et le travail de recensement continue puisque la guerre n’est pas encore terminée. Les dégâts sur le sol de Gaza et même au Liban depuis le début de la guerre Hamas-Israël sont aussi nombreux, avec par exemple des incendies ayant ravagé des centaines d'hectares de forêts et d'oliveraies au sud du Liban suite à des bombardements. 

En plus des victimes humaines directes, des crises économiques, énergétiques, alimentaires générées par les conflits, les dégâts environnementaux sont aussi souvent colossaux.

Les conséquences écologiques des guerres

Pollutions de l’eau, de l’air, des sols

Les armes, munitions et tactiques de guerre peuvent mener à des catastrophes environnementales.

  • Les munitions

Les matériaux utilisés pour les douilles, les obus, etc, ne sont pas inoffensifs. Rien que les conséquences de la Première Guerre mondiale se font encore sentir selon Adrien Estève, chercheur au CNRS et à l’Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire : "Il y a une pollution aux métaux lourds des sols et nappes phréatiques due à la dégradation des munitions qui contiennent du plomb, du mercure, ça a été documenté dans le nord de la France et en Belgique par exemple". C’est encore un sujet aujourd’hui car les alliages de fonte et d’acier qui composent les obus contiennent, à défaut de plomb, du soufre et du cuivre qui peuvent aussi contaminer les sols et les ressources en eau.

  • Les produits chimiques

Des produits chimiques peuvent aussi volontairement ou involontairement polluer les écosystèmes en cas de conflits armés. L'exemple le plus célèbre est celui de l'agent orange : utilisé au Vietnam par l’armée américaine dans les années 60, c’est un herbicide ultra-toxique qui détruisait la végétation et permettait de repérer plus facilement les forces Viêt-Cong. Mais il est tellement dangereux qu’il a détruit toutes les forêts sur 20% du sud du pays et qu’il continue de contaminer l’environnement et les populations. C’est avec cet exemple qu’on a commencé à parler sérieusement de l’impact écologique des guerres et même d’écocide.

Actuellement, en Ukraine, le risque concerne surtout les attaques sur des infrastructures énergétiques ou industrielles, qui une fois bombardées entraînent des pollutions de l’air, du sol, de l’eau.

  • Le nucléaire

Adrien Estève évoque aussi le nucléaire. Il y a bien sûr eu les pollutions qui ont découlé de l’usage de la bombe nucléaire à Hiroshima et Nagasaki lors de la Seconde Guerre mondiale, mais il faut aussi compter les essais nucléaires qui ont laissé des traces en Polynésie Française par exemple. Comme quoi, la "préparation" à la guerre a aussi des conséquences : pollution radioactive, contamination de la chaîne alimentaire, avec des impacts pour la santé des êtres vivants (qu’ils soient humains ou pas).

Pour Adrien Estève, même sans parler d’arme nucléaire, un nouveau risque apparaît aujourd’hui : "Le nucléaire va se développer puisque c’est une énergie qui n’émet pas de gaz à effet de serre, mais si des conflits éclatent dans des zones où il y a des centrales, c’est autant d’accidents nucléaires possibles". En Ukraine, c'est le cas de la centrale de Zaporijia, encore menacée par les combats et les menaces d’attentats terroristes.

Impact sur la biodiversité et les écosystèmes

Quand on parle de l’impact environnemental de la guerre, les écosystèmes et l'ensemble de la biodiversité sont malheureusement les grands laissés pour compte. À l’exception des pollutions qui nous touchent directement (nappes phréatiques, terres agricoles, etc), il existe très peu d’études à propos des impacts de la guerre sur la faune, la flore et la nature en général. C'est une vision de la guerre et de ses conséquences "très anthropocentrée" selon Adrien Estève.

  • L'exemple de la Première Guerre mondiale

Mais même sans études et données chiffrées sur le sujet, ce n’est pas très difficile d’affirmer que l’environnement est une victime collatérale de la guerre. Pendant la Première Guerre mondiale (1914-1918) par exemple : en quelques années seulement, le conflit a défiguré pour toujours des écosystèmes français (cratères d’obus, disparition de certaines populations d’oiseaux, d’insectes, de grands mammifères, etc). Les zones les plus touchées par la Première Guerre mondiale sont appelées "zones rouges" en France. Ça représente environ 120 000 hectares de champ de bataille où, encore aujourd’hui, certaines activités sont interdites par la loi à cause des obus qui n’ont pas explosé... Selon Adrien Estève, "à l’époque, certains arbres ont tellement été mitraillés que le métal des balles a fusionné avec le bois".

  • La guerre en Ukraine, un tournant dans la prise en compte de l'environnement ?

Même si guerre du Vietnam correspond à la première prise de conscience morale sur les conflits armés et leurs impacts écologiques, la guerre en Ukraine serait "l’un des conflits les mieux documentés de l’histoire en matière de problèmes environnementaux" d’après Doug Weir de l’ONG britannique Observatoire des conflits et de l’environnement (CEOBS).

Dans l’idée, c’est plutôt une bonne chose, même si les premiers chiffres ne sont pas très réjouissants… En un an et demi de guerre en Ukraine, 60 000 hectares de forêts ont été ravagés par des incendies d’origine militaire, et 1/3 d’entre elles était des zones naturelles protégées. Il faut aussi ajouter la déforestation de 280 000 hectares d'arbres, soit 26 fois la superficie de Paris.

Contribution au changement climatique

Les activités de défense dépendent aussi énormément des énergies fossiles : pour faire décoller des avions, ou faire avancer des tanks et des camions, il faut du carburant : c’est principalement du pétrole, ce qui favorise le changement climatique.

"C’est assez compliqué d’avoir une idée de l’impact des forces armées sur le climat, parce qu’elles ne rendent pas public leur bilan carbone, il n’y a pas de méthodologie commune pour pouvoir les comparer entre elles, même si l’OTAN a lancé une initiative pour faciliter ça à l’avenir", explique Sofia Kabbej, chercheuse au sein du Pôle Climat, énergie et sécurité de l'IRIS.

En France, le ministère de la défense avance que « la part des armées dans la consommation énergétique nationale est de l’ordre de 0,8 % ». Il y a quand même quelques études indépendantes qui ont creusé le sujet, notamment celle dirigée par Neta Crawford à l'université Brown sur le Département de Défense américain. D'après ces travaux, en 2017, l’armée américaine a émis plus de gaz à effet de serre que la Suède. Les installations et les opérations de l’armée américaine sont prises en compte dans ce calcul (contrairement au bilan de l’armée américaine qui ne prend pas en compte ses opérations extérieures). Selon ses recherches, le Département de Défense américain serait l’institution qui utilise le plus de pétrole, et donc l’institution qui émet le plus de gaz à effet de serre au monde.

Et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Parce que, pour les armées, l’important c’est de pouvoir intervenir en tout temps et en tous lieux. D’après Sofia Kabbej, elles sont exemptées d'un certain nombre d’obligations légales de part leurs missions et objectifs. Adrien Estève ajoute même qu’elles "ne consentiraient à faire des efforts écologiques que si elles y trouvent des intérêts stratégiques".

Diminuer les dégâts environnementaux liés aux guerres, c’est possible ?

Côté climat

À l’heure actuelle, rien n’oblige les armées à faire des efforts pour moins polluer. Donc même si certains États ont commencé à se poser la question, pour l’instant ce n’est pas encore ça.

  • Développer des "stratégies défense-climat"

Historiquement, c’est l’armée américaine (la plus polluante) qui a été la première à prendre en compte la question climatique dès les années 1990. Cependant elle ne s’y est pas intéressée pour moins polluer, mais plutôt parce que le changement climatique pourrait amplifier les risques de tensions ou conflits, les migrations, rendre les conditions d’intervention des armées plus compliquées, etc.

En France aussi le ministère de la défense a publié sa propre stratégie défense-climat. Il avance différentes techniques et nous a même précisé (par mail) avoir fait un essai avec un carburant à base d’huiles de friture pour les aéronefs : ça réduirait à terme les émissions de gaz à effet de serre de 90%.

Cependant, aucune date n’a encore été communiquée concernant la démocratisation de ce carburant. Dans un document (disponible au public), le ministère parle uniquement de "réduction" de l’usage des énergies fossiles et non pas de leur abandon (l’usage de l’hybride semble être une voie privilégiée).

Encore une fois, la raison numéro un c’est surtout pour ne plus être dépendant d’autres pays et faire face au risque de rupture de stock, même si la réduction des émissions est très brièvement mentionnée.

"Je ne pense pas que les armées pourront complètement abandonner les énergies fossiles", confirme Sofia Kabbej. Transformer leurs équipements, ça demande du temps et de la recherche. Donc pour l’instant on n'y est pas, même si quelques avancées du côté des énergies renouvelables sont à noter (par exemple, certains camps de base pourraient bientôt être alimentés grâce à l’énergie solaire).

  • La compensation carbone

En parallèle, les armées veulent parier sur la compensation carbone pour absorber leurs émissions.

Effectivement, l’armée française gère des terrains préservés de l’urbanisation 3480 km2 précisément, ce qui équivaut à un petit peu plus que la superficie de La Réunion.

Outre le fait de contribuer à préserver la biodiversité, le ministère de la Défense a pour ambition de stocker du carbone grâce à ces surfaces, comme d’autres armées dans le monde. Le problème, c’est que c’est une technique qui a de grosses limites (une forêt ou une prairie peut brûler par exemple et ainsi relâcher tout le carbone absorbé dans l’atmosphère).

Pourtant, les menaces auxquelles se préparent les armées, et pour lesquelles elles polluent beaucoup ne sont pas certaines de se concrétiser : aucun conflit n’est certain d’éclater. Alors que la menace du changement climatique, elle, est bien réelle et actuelle, et nécessiterait donc d’urgence la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est un argument donné par l’étude de l’Université Brown pour que ces dernières fassent réellement plus d’efforts à ce sujet.

La thématique de l’écocide

L'écocide dont on parlait en début d'article désigne "un acte illégal ou gratuit commit en sachant qu’il y a une forte probabilité qu’il cause des dommages graves et étendus ou à long terme sur l'environnement". Donc les guerres et autres conflits armés rentreraient en théorie dans le cahier des charges.

Mais pour l'instant, le concept d’écocide est encore mal reconnu à l’international, bien que l'Union Européenne ait fait un pas en avant au mois de novembre 2023 en reconnaissant un certain nombre d'infractions environnementales. Il faut ensuite coupler ça au droit de la guerre, qui est assez peu respecté en réalité.

Concernant la compensation suite à des dégâts causés par un État belligérant, ça semble donc peine perdue. Par exemple, pendant longtemps la France a fait des essais nucléaires en Polynésie française : en janvier 1996 Jacques Chirac qui était Président de la République a décidé de créer un fonds de 1 milliard de francs en guise de compensation. Mais cet argent n’était destiné qu'à la population et pas à la restauration des écosystèmes. 

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