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Quel est l'impact des guerres sur l'environnement ?

Un an et demi de conflit ouvert en Ukraine, un nombre de victimes impossible à recenser, des crises énergétiques (et même alimentaires) qui en découlent un peu partout dans le monde… Et en plus de tout ça, des dégâts environnementaux colossaux.

Bref, tu l’auras compris, aujourd’hui c’est un peu la déprime puisqu’on va se pencher sur les impacts environnementaux de la guerre (youhou) 👇

QUIZ
Depuis le début du conflit russo-ukrainien, le gouvernement ukrainien a recensé plus de...

Les conséquences écologiques des guerres

Pollutions de l’eau, de l’air, des sols

Les armes, munitions et tactiques de guerre peuvent mener à des catastrophes environnementales 😳

  • Les munitions

Les matériaux utilisés pour les douilles, les obus, etc, ne sont pas inoffensifs. Rien que les conséquences de la Première Guerre mondiale se font encore sentir selon Adrien Estève, chercheur au CNRS et à l’Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole Militaire : « Il y a une pollution aux métaux lourds des sols et nappes phréatiques* due à la dégradation des munitions qui contiennent du plomb, du mercure, ça a été documenté dans le nord de la France et en Belgique par exemple. »

C’est encore un sujet aujourd’hui car les alliages de fonte et d’acier qui composent les obus contiennent, à défaut de plomb, du soufre et du cuivre qui peuvent aussi contaminer les sols et les ressources en eau.

  • Les produits chimiques

Des produits chimiques peuvent aussi volontairement ou involontairement polluer les écosystèmes en cas de conflits armés.

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L’exemple le plus célèbre, c’est :

Actuellement, en Ukraine, le risque concerne surtout les attaques sur des infrastructures énergétiques ou industrielles, qui une fois bombardées entraînent des pollutions de l’air, du sol, de l’eau.

  • Le nucléaire

Adrien Estève évoque aussi le nucléaire. Il y a bien sûr eu les pollutions qui ont découlé de l’usage de la bombe nucléaire à Hiroshima et Nagasaki lors de la Seconde Guerre mondiale, mais il faut aussi compter les essais nucléaires qui ont laissé des traces en Polynésie Française par exemple. Comme quoi, la « préparation » à la guerre a aussi des conséquences : pollution radioactive, contamination de la chaîne alimentaire, avec des impacts pour la santé des êtres vivants (qu’ils soient humains ou pas).

Pour Adrien Estève, même sans parler d’arme nucléaire, un nouveau risque apparaît aujourd’hui : « Le nucléaire va se développer puisque c’est une énergie qui n’émet pas de gaz à effet de serre, mais si des conflits éclatent dans des zones où il y a des centrales, c’est autant d’accidents nucléaires possibles. »

En Ukraine, c'est le cas de la centrale de Zaporijia, encore menacée par les combats et les menaces d’attentats terroristes.

Impact sur la biodiversité et les écosystèmes

Quand on parle de l’impact environnemental de la guerre, les écosystèmes (et l'ensemble de la biodiversité) sont malheureusement les grands laissés pour compte 😭

QUIZ
À ton avis, pourquoi ?
  • L’exemple de la Première Guerre mondiale

Même sans études et données chiffrées sur le sujet, ce n’est pas très difficile d’affirmer que l’environnement est une victime collatérale de la guerre.

Prends la Première Guerre mondiale (1914-1918) par exemple : en quelques années seulement, le conflit a défiguré pour toujours des écosystèmes français (cratères d’obus, disparition de certaines populations d’oiseaux, d’insectes, de grands mammifères, etc).

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En France, on appelle « zones rouges »…
  • La guerre en Ukraine, un tournant dans la prise en compte de l’environnement ?

Même si guerre du Vietnam = première prise de conscience morale sur les conflits armés et leurs impacts écologiques, la guerre en Ukraine serait « l’un des conflits les mieux documentés de l’histoire en matière de problèmes environnementaux » d’après Doug Weir de l’ONG britannique Observatoire des conflits et de l’environnement (CEOBS).

Dans l’idée, c’est plutôt une bonne chose, même si les premiers chiffres ne sont pas très réjouissants…

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Depuis le début du conflit ukrainien, 60 000 hectares de forêts…

Contribution au changement climatique

Les activités de défense dépendent aussi énormément des énergies fossiles : pour faire décoller des avions, ou faire avancer des tanks et des camions, il faut du carburant → c’est principalement du pétrole, ce qui favorise le changement climatique.

« C’est assez compliqué d’avoir une idée de l’impact des forces armées sur le climat, parce qu’elles ne rendent pas public leur bilan carbone, il n’y a pas de méthodologie commune pour pouvoir les comparer entre elles, même si l’OTAN a lancé une initiative pour faciliter ça à l’avenir » explique Sofia Kabbej, chercheuse au sein du Pôle Climat, énergie et sécurité de l'IRIS.

En France, le ministère de la défense avance que « la part des armées dans la consommation énergétique nationale est de l’ordre de 0,8% ». Il y a quand même quelques études indépendantes qui ont creusé le sujet, notamment celle dirigée par Neta Crawford à l'université Brown sur le Département de Défense américain.

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En 2017, l’armée américaine a émis plus de gaz à effet de serre que :

Et c’est pas prêt de s’arrêter. Parce que, pour les armées, l’important c’est de pouvoir intervenir en tout temps et en tous lieux. D’après Sofia Kabbej, elles sont exemptées de pas mal d’obligations légales de part leurs missions et objectifs. Adrien Estève ajoute même qu’elles « ne consentiraient à faire des efforts écologiques que si elles y trouvent des intérêts stratégiques ».

Diminuer les dégâts environnementaux liés aux guerres, c’est possible ?

Côté climat

À l’heure actuelle, rien n’oblige les armées à faire des efforts pour moins polluer. Donc même si certains États ont commencé à se poser la question, pour l’instant c’est pas encore ça…

  • Développer des « stratégies défense-climat »

Historiquement, c’est l’armée américaine (la plus polluante) qui a été la première à prendre en compte la question climatique dès les années 1990. Le truc, c’est qu’elle ne s’y est pas intéressée pour moins polluer, mais plutôt parce que le changement climatique pourrait amplifier les risques de tensions ou conflits, les migrations, rendre les conditions d’intervention des armées plus compliquées, etc 🥲

En France aussi le ministère de la défense a publié sa propre stratégie défense-climat. Il avance différentes techniques et nous ont même précisé (par mail) avoir fait un essai avec un carburant à base d’huiles de friture pour les aéronefs : ça réduirait à terme les émissions de gaz à effet de serre de 90%.

Cependant, aucune date n’a encore été communiquée concernant la démocratisation de ce carburant. Dans un document (disponible au public), le ministère parle uniquement de « réduction » de l’usage des énergies fossiles et non pas de leur abandon (l’usage de l’hybride semble être une voie privilégiée).

Encore une fois, la raison numéro uno c’est surtout pour ne plus être dépendant d’autres pays et faire face au risque de rupture de stock, même si la réduction des émissions est très brièvement mentionnée.

« Je ne pense pas que les armées pourront complètement abandonner les énergies fossiles » confirme Sofia Kabbej. Transformer leurs équipements, ça demande du temps et de la recherche. Donc pour l’instant c’est pas encore ça même si quelques avancées du côté des énergies renouvelables sont à notifier (par ex certains camps de base pourraient bientôt être alimentés grâce à l’énergie solaire).

  • La compensation carbone

En parallèle, les armées veulent parier sur la compensation carbone pour absorber leurs émissions.

QUIZ
L’armée française gère des terrains préservés de l’urbanisation :

Outre le fait de contribuer à préserver la biodiversité, le ministère de la Défense a pour ambition de stocker du carbone grâce à ces surfaces, comme d’autres armées dans le monde. Le hic, c’est que c’est une technique qui a de grosses limites (une forêt ou une prairie, ça peut brûler par exemple, et là tout le carbone absorbé est relâché dans l’atmosphère).

Pourtant, les menaces auxquelles se préparent les armées, et pour lesquelles elles polluent beaucoup ne sont pas certaines de se concrétiser : aucun conflit n’est certain d’éclater. Alors que la menace du changement climatique, elle, est bien réelle et actuelle, et nécessiterait donc d’urgence la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C’est un argument donné par l’étude de l’Université Brown pour que ces dernières fassent réellement plus d’efforts à ce sujet.

La thématique de l’écocide

Bah ouais, parce que si tu reprends la définition d’un écocide, on parle quand même :

« D’un acte illégal ou gratuit commit en sachant qu’il y a une forte probabilité qu’il cause des dommages graves et étendus ou à long terme sur l'environnement. »

Donc les guerres et autres conflits armés rentreraient carrément dans le cahier des charges ! Sauf que…

  • Le concept d’écocide est encore mal reconnu à l’international : « Aujourd’hui, même si tu détruis un écosystème de manière importante, on ne peut pas te condamner car il n'existe pas de législation sur l’écocide » explique Adrien Estève. Qui sait, peut-être que la guerre en Ukraine va amener une réflexion sur le sujet ? 🤞
  • Il faut ensuite coupler ça au droit de la guerre : Et crois-moi, il a encore beaucouuuuup de mal à être respecté…
  • Donc pour la compensation, c’est un peu mort : la compensation, c’est l’idée qu’un pays qui a foutu le bazar paye les dégâts environnementaux qu’il a causé. Par exemple, pendant longtemps la France a fait des essais nucléaires en Polynésie française (un de ses propres territoires d’outre-mer) → en janvier 1996 Jacques Chirac qui est président décide de créer un fonds de 1 milliard de francs en guise de compensation. Sauf que cet argent n’était destiné qu'à la population et pas aux écosystèmes. Vraiment, l’être humain est pas mal autocentré !

Nappe phréatique : Réserve d’eau douce souterraine (située à faible profondeur) formée par l’infiltration des eaux de pluie dans le sol, qui alimente les puits ou les sources.

OTAN : Organisation du Traité de l'Atlantique Nord → une des principales institutions internationales mondiales. En gros, c'est une alliance politique et militaire qui réunit 30 pays membres d'Europe et d'Amérique du Nord. Ils se consultent et coopèrent dans le domaine de la sécurité de la défense.

Interview de Sofia Kabbej, chercheure au sein du Pôle Climat, énergie et sécurité de l'IRIS
Interview d’Adrien Estève, chercheur au CNRS et
Échanges avec le Ministère des Armées
Greenpeace et Eco-action - Greenpeace et Ecoaction publient une carte des destructions environnementales causées par la guerre de la Russie en Ukraine
Eco-action - Potentiel environmental impacts caused by Russian aggression in Ukraine
CS2P - Guerre russo-ukrainienne : les conséquences environnementales
Brown University - Pentagon Fuel Use, Climate Change, and the Costs of War
Ministère des Armées - Stratégie climat et défense
Le Monde - En Ukraine, la situation autour de la centrale de Zaporidja demeure instable et imprévisible
Le Monde - Guerre en Ukraine : les attaques contre l’environnement sont devenues des armes à part entière
Libération - Le bilan environnemental de la guerre en Ukraine

Esther Meunier
À la recherche de bonnes nouvelles
Nicolas Quénard
The Lizard King

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