La semaine dernière, on t’a demandé pourquoi c’était si difficile de se bouger, individuellement et (surtout) collectivement, face à l’urgence environnementale.
D’abord, merci pour les (nombreuses) réponses reçues. On les a partagées à Aurore Grandin, doctorante en science cognitive à l’ENS et spécialiste en psychologie de l’environnement 👩 Voilà ses retours !
👩💬 : Il y a plein de raisons, et ça peut effectivement être un manque d’information. Par exemple, si on se concentre sur le changement climatique et le bilan carbone, on ne sait pas forcément quel est notre propre impact. Il y a aussi une catégorie de la population qui n’y croit pas, qui pense que c’est faux, ou que l’être humain n’est pas responsable.
Sur le changement climatique comme sur tous les sujets, il existe ce qu’on appelle :
Ces deux mécanismes psychologiques peuvent expliquer en partie pourquoi on n’agit pas.
👩💬 : Le confort n’est pas seulement matériel, il est aussi psychologique. Ce que font les autres membres de notre groupe social, comme nos amis et notre famille, nous influence énormément. Si on est conscient qu’une action n’est pas géniale, mais que nos proches continuent de la faire, on va avoir tendance à continuer de la faire aussi. Juste pour ne pas avoir l’impression d’être minoritaire, ou passer pour le ou la hippie de service. Ça se voit sur la consommation de viande par exemple : une des premières choses qui fait qu’on devient végétarien·ne, c’est notre nombre d’ami·es végétarien·nes.
La recherche du confort fait aussi qu’on cherche à conforter nos croyances, plutôt que les questionner (le fameux biais de confirmation évoqué plus haut).
👩💬 : Le changement climatique est perçu comme loin de nous, à la fois dans le temps et dans l’espace. Le Covid-19 touchait directement notre santé, donc il y a eu une réaction. Mais tant que nous ne sommes pas touchés par des catastrophes naturelles, on aura du mal à percevoir le changement climatique comme une menace personnelle.
C’est normal : au cours de l’évolution, notre cerveau a été façonné pour répondre à des besoins précis et immédiats (chercher à manger, construire un groupe social). On est donc moins armé·e pour répondre à des menaces diffuses et/ou lointaines. On fonctionne aussi avec un « biais d’optimisme » : on sous-estime la probabilité que notre pays ou notre région soit touchée par le réchauffement ou une catastrophe naturelle, par rapport à d'autres endroits sur la planète.
👩💬 : L’environnement est un bien collectif : on ne peut le préserver efficacement qu’en s’y mettant tous. Mais au niveau individuel, chacun a intérêt à être un « passager clandestin » : se déplacer en voiture et en avion, manger de la viande, etc. Et donc bénéficier de ses propres émissions de CO2 au détriment de la planète.
C’est un problème social majeur et le sentiment individuel d’impuissance est logique. C’est pour ça qu’on a besoin de rendre visible les actions qui sont effectuées, pour que chacun ait le sentiment qu’on fait des efforts ensemble, et que la question de l’équité, de l’égalité est prise en compte.
👩💬 : Les décideur·euses politiques ont le même cerveau que les autres. Ils et elles subissent donc aussi des biais cognitifs, comme le biais d’immédiateté (= privilégier ce qui arrive à court terme plutôt qu’à long terme, même si ce qui arrive à long terme est plus intéressant ou inquiétant).
Il y en a un autre aussi que l’on appelle le « déni implicatoire » : c’est le fait de rejeter une réalité car on refuse ce qu’elle implique.
Par exemple, aux États-Unis ou en France, une partie de la droite politique nie l’importance du changement climatique, car si c’était un problème important, cela nécessiterait un fort engagement de l’État. Or, comme cette droite-là est contre un plus grand rôle de l’État, elle va donc tout refuser en bloc. Les réponses au problème, et le problème lui-même.