Pourquoi les peuples autochtones devraient être plus écoutés côté écologie ?

Les peuples autochtones contribuent à la préservation de 80% de la biodiversité restante sur Terre. Une des nombreuses raisons de leur donner voix au chapitre en matière d'urgence environnementale. 

38 millions de km2 sont gérés par des peuples autochtones sur Terre, c'est un espace plus grand que le continent africain lui-même. Ça représente 40% des zones terrestres conservées, où la biodiversité est protégée de diverses manières, réparties dans 87 pays différents.

Mais avant d’aller plus loin…

Peuples autochtones : de quoi on parle ?

Il n’existe pas une définition universelle des termes "peuples autochtones", qui désignent une grande diversité de peuples. Même les institutions internationales n’ont pas de définition commune.

Mais il y a quand même quelques critères qui reviennent souvent, en particulier :

  • Avoir été présent sur leur territoire avant sa colonisation et/ou l’établissement des frontières actuelles
  • S’autodéfinir comme peuple autochtone
  • S’organiser au moins en partie à travers ses propres règles (au sein d’un État par exemple)

Le rôle de ces peuples autochtones côté écologie est trop souvent négligé. Le dernier rapport de l’IPBES (un groupe international d’experts sur la biodiversité) reconnaît d’ailleurs "l'importance [...] de veiller à ce que la participation des peuples autochtones et des communautés locales soit pleine et effective dans la gouvernance". 

En somme, qu’ils aient leur mot à dire sur l’administration des territoires, et dans les négociations sur le climat et la biodiversité. Mais alors pourquoi ?

Les peuples autochtones ont un rapport différent à la Terre

Des façons de vivre durables…

Les peuples autochtones sont très divers. Mais comme l’explique Adriani Maffioletti, activiste écologiste et pour les droits des peuples autochtones, elle-même d’ascendance Guarani (l'un des peuples autochtones les plus importants en nombre au sud de l’Amérique du Sud), ils partagent un point commun : "J’ai vu différentes communautés, qui vivent de manières variées, mais toutes d’une façon durable."

"Vivre de façon durable", ça peut donc représenter plein de choses, tant que la faune, la flore, les terres, ne sont pas surexploitées. Pour Taneyulime Pilisi, présidente de l’organisation AUKAE, de la nation Kalina, c’est par exemple :

  • Ne pas agir sur l’environnement pour le "plaisir" : ne chasser, pêcher, abattre des arbres que quand c’est nécessaire
  • Ne pas planter n’importe quoi n’importe où, ne pas aller jusqu’à l’épuisement de la terre, replanter plus loin pour la laisser se reposer
  • Prendre en compte les besoins des populations

Toutes deux considèrent que leurs peuples ne font qu'un avec la nature et donc ne peuvent pas la posséder et l'exploiter. 

…Menacées par la colonisation et l’exploitation du monde vivant

Ce lien avec le monde vivant a souvent été détruit au moment de la colonisation, quand des Européens se sont mis·es en quête de nouveaux territoires et s’y sont imposés, que ce soit en Amérique, en Afrique, en Asie…

C’est ce qu’explique Eugénie Clément-Picos, doctorante en anthropologie sociale à l’EHESS et coordinatrice du pôle Californie de l’Institut des Amériques à UCLA, à travers l’exemple de la nation Navajo en Amérique du Nord avec laquelle elle travaille :

"Ces liens d’interdépendance, qui sont appelés le K’é au sein de la nation Navajo, ont été très abîmés au moment de la colonisation, avec un génocide culturel en quelque sorte : l’internement de force des populations, l’obligation de s’assimiler en forçant les enfants à aller dans des internats où ils et elles n’apprenaient plus leur langue maternelle..."

Les Navajo ont été éloignés de leurs racines et des pratiques qui maintenaient les équilibres dans les écosystèmes et contraints de rentrer dans le moule occidental. Aujourd’hui, beaucoup de collectifs autochtones écologistes considèrent que le système économique et politique occidental qui était alors à l’œuvre et qui est en place actuellement est en grande partie responsable du changement climatique.

"Parfois, j'imagine ce qui se seait passé si en arrivant ici, les colons avaient écouté les peuples autochtones, je pense qu'aujourd'hui, on ne vivrait pas cette crise climatique", raconte Adriani Maffioletti. 

Les peuples autochtones préservent la biodiversité

Grâce à leur mode de vie

Malgré tout, ceux qui sont parvenus à préserver leurs traditions ont un impact bénéfique sur la faune et la flore. Les peuples autochtones contribuent à préserver 80% de la biodiversité restante, alors qu'ils représentent seulement 5 à 6% de la population mondiale, et occupent moins d’un quart de la surface terrestre.

Attention, comme l’explique Eugénie, "ça veut pas dire que ce sont des magiciens et magiciennes, c’est un savoir, une science, cette nature qu’on admire tant est le fruit d’une relation et d’un échange millénaire".

Des études ont montré aujourd’hui que des terres gérées par des peuples autochtones sont autant voire plus riches en biodiversité que des aires protégées où les humains ne sont pas censés mettre les pieds (ça a été démontré au Canada, au Brésil et en Australie par exemple).

Grâce à la protection de leurs terres

Si la nature est ainsi préservée dans ces territoires, c’est aussi parce que ces peuples se battent pour protéger leurs terres contre des industries destructrices(par exemple, contre l’industrie de l’or en Guyane).

"Ces terres où vivent des peuples autochtones sont les plus riches, ce sont celles qui ont été préservées, et c’est pour ça que les sociétés privées veulent venir y puiser les dernières ressources", explique Taneyulime Pilisi. 

Le dernier rapport de l’IPBES l’affirme : la déforestation est généralement moins importante sur les territoires autochtones, surtout lorsque les droits de ces peuples sont préservés (droits à la terre, possibilité d’entretenir un savoir, des langues, des moyens de subsistance alternatifs…).

Mais cet engagement a un coût dramatique pour les communautés autochtones : entre 2012 et 2022, près de 2000 personnes ont été assassinées dans le monde parce qu’elles défendaient leur terres, et plus d'un tiers étaient des personnes autochtones selon l’ONG Global Witness.

"On souffre des attaques des orpailleurs, des personnes qui veulent déforester ou piller les sols, des gouvernements qui veulent nous confisquer nos terres, et tout le monde est concerné parce que si on ne peut pas protéger nos terres, on ne pourra pas préserver leur biodiversité", affirme Adriani Maffioletti. 

Les peuples autochtones ont énormément de connaissances à transmettre

S’il fallait une autre raison pour laisser davantage de place aux peuples autochtones côté écologie, en voilà une autre : "réunir les scientifiques et les peuples autochtones pour qu'ils apprennent les uns des autres renforcera l'utilisation durable des espèces sauvages" selon l'IPBES.

Ce genre de collaborations existe déjà. Par exemple, à Tucson, le centre Water Resources Research Center essaie de trouver des solutions pour la gestion des ressources en eau en mêlant les savoirs traditionnels autochtones et la science. Eugénie Clément-Picos donne aussi l’exemple des "trois sœurs", une technique de culture. Ce sont trois plantes qui se complètent : le maïs qui pousse vers le ciel, les haricots qui se servent du maïs comme tuteur, et la courge qui couvre le sol et évite l’implantation de mauvaises herbes. C'est une forme de permaculture (faire pousser ensemble des plantes complémentaires).

Protéger les droits des peuples autochtones : quelles solutions ?

Il y a des choses à faire au niveau national et international pour protéger les peuples autochtones et donc la nature selon Taneyulime Pilisi et Adriani Maffioletti :

  • Respecter les conventions internationales et les lois sur les droits des personnes autochtones (par exemple, la France n’a pas ratifié la Convention n°169 de l’Organisation Internationale du Travail, qui reconnaît notamment les droits à la terre et à disposer d’eux-mêmes des peuples autochtones).
  • Verser des réparations aux peuples autochtones : pour réparer les dommages qui leur ont été faits et les aider à faire face à la nouvelle normale que va imposer l’urgence environnementale.
  • Leur faire une vraie place à la table des négociations internationales, et pas seulement une place symbolique qui ne leur donne aucun pouvoir.

À l'échelle individuelle, Adriani propose de les aider à amplifier leur message, par exemple sur les réseaux sociaux, dans les manifestations, ou auprès des instances gouvernementales.