
10 min
Pourquoi les peuples autochtones devraient être plus écoutés côté écologie ?
Esther Meunier
Esther Meunier
Partage l'article
Mais avant d’aller plus loin…
Il n’existe pas une définition universelle des termes « peuples autochtones », qui désignent une grande diversité de peuples → même les institutions internationales n’ont pas de définition commune.
Mais il y a quand même quelques critères qui reviennent souvent, en particulier :
Si on t’en parle aujourd’hui, c’est parce que le rôle de ces peuples autochtones côté écologie est trop souvent négligé → Le dernier rapport de l’IPBES* (un groupe international d’expert·es sur la biodiversité) reconnaît d’ailleurs « l'importance [...] de veiller à ce que la participation des peuples autochtones et des communautés locales soit pleine et effective dans la gouvernance ».
En gros, qu’ils aient leur mot à dire sur l’administration des territoires, et dans les négos sur le climat et la biodiversité ! Mais alors pourquoi ? On t’explique 👇
Les peuples autochtones sont très divers. Mais comme l’explique Adriani Maffioletti, activiste écolo et pour les droits des peuples autochtones, elle-même d’ascendance Guarani (l'un des peuples autochtones les plus importants en nombre au sud de l’Amérique du Sud), ils partagent un point commun : « J’ai vu différentes communautés, qui vivent de manières variées, mais toutes d’une façon durable. »
« Vivre de façon durable », ça peut donc représenter plein de choses, tant que la faune, la flore, les terres, ne sont pas surexploitées. Pour Taneyulime, présidente de l’organisation AUKAE, de la nation Kalina, c’est par exemple :
Toutes deux considèrent que leurs peuples ne font qu’un avec la nature, et donc ne peuvent pas la posséder et l’exploiter.
Ce lien avec le monde vivant a souvent été détruit au moment de la colonisation, quand des Européen·nes se sont mis·es en quête de nouveaux territoires et s’y sont imposé·es, que ce soit en Amérique, en Afrique, en Asie…
C’est ce qu’explique Eugénie Clément-Picos, doctorante en anthropologie sociale à l’EHESS et coordinatrice du pôle Californie de l’Institut des Amériques à UCLA, à travers l’exemple de la nation Navajo en Amérique du Nord avec laquelle elle travaille :
« Ces liens d’interdépendance, qui sont appelés le K’é au sein de la nation Navajo, ont été très abîmés au moment de la colonisation, avec un génocide culturel* en quelque sorte : l’internement de force des populations, l’obligation de s’assimiler en forçant les enfants à aller dans des internats où ils et elles n’apprenaient plus leur langue maternelle… »
Les Navajo ont été éloignés de leurs racines et des pratiques qui maintenaient les équilibres dans les écosystèmes et contraints de rentrer dans le moule occidental → Aujourd’hui, beaucoup de collectifs autochtones écologistes considèrent que le système économique et politique occidental qui était alors à l’œuvre et qui est en place actuellement est en grande partie responsable du changement climatique.
« Parfois j’imagine ce qui se serait passé si en arrivant ici, les colons avaient écouté les peuples autochtones. Je pense qu’aujourd’hui, on ne vivrait pas cette crise climatique. »
Adriani Maffioletti
Malgré tout, ceux qui sont parvenus à préserver leurs traditions ont un impact bénéfique sur la faune et la flore.
Attention, comme l’explique Eugénie, « ça veut pas dire que ce sont des magicien·nes, c’est un savoir, une science, cette nature qu’on admire tant est le fruit d’une relation et d’un échange millénaire ».
Des études ont montré aujourd’hui que des terres gérées par des peuples autochtones sont autant voire plus riches en biodiversité que des aires protégées où les humains ne sont pas censés mettre les pieds (ça a été démontré au Canada, au Brésil et en Australie par exemple).
Si la nature est ainsi préservée dans ces territoires, c’est aussi parce ces peuples se battent pour protéger leurs terres contre des industries destructrices (par exemple, contre l’industrie de l’or en Guyane).
« Ces terres où vivent des peuples autochtones sont les plus riches, ce sont celles qui ont été préservées, et c’est pour ça que les sociétés privées veulent venir y puiser les dernières ressources. »
Taneyulime
Le dernier rapport de l’IPBES l’affirme : la déforestation est généralement moins importante sur les territoires autochtones, surtout lorsque les droits de ces peuples sont préservés (droits à la terre, possibilité d’entretenir un savoir, des langues, des moyens de subsistance alternatifs…).
Mais cet engagement a un coût dramatique pour les communautés autochtones : en 2020, 227 personnes ont été assassinées dans le monde parce qu’elles défendaient leur terres, dont plus d’un tiers étaient des personnes autochtones selon l’ONG Global Witness.
« On souffre des attaques des orpailleurs*, des personnes qui veulent déforester ou piller les sols, des gouvernements qui veulent nous confisquer nos terres, et tout le monde est concerné parce que si on ne peut pas protéger nos terres, on ne pourra pas préserver leur biodiversité. »
Adriani
Les droits des peuples autochtones s'affaiblissent. Par exemple, au Brésil, un texte pour limiter les terres autochtones a été approuvé → en gros, il établit que les autochtones n'ont droit qu'aux terres qu'ils occupaient au moment de la promulgation de la Constitution de 1988. Problème : les peuples autochtones expliquent qu'à cette époque, ok ils n'occupaient pas certaines terres, mais parce qu'ils en avaient été chassés au fil des siècles 🤷
S’il fallait une autre raison pour laisser davantage de place aux peuples autochtones côté écologie, en voilà une autre : « réunir les scientifiques et les peuples autochtones pour qu'ils apprennent les uns des autres renforcera l'utilisation durable des espèces sauvages » (c’est encore l’IPBES qui le dit).
Ce genre de collaborations existe déjà. Par exemple, à Tucson, le centre Water Resources Research Center essaie de trouver des solutions pour la gestion des ressources en eau en mêlant les savoirs traditionnels autochtones et la science 🤝
Eugénie donne aussi l’exemple des « trois sœurs ».
Y a des choses à faire au niveau national et international pour protéger les peuples autochtones et donc la nature selon Taneyulime et Adriani :
Quant à toi, Adriani te propose de les aider à amplifier leur message, par exemple sur les réseaux sociaux, dans les manifestations, ou auprès des instances gouvernementales !
Orpailleur·euse : Personne qui extrait de l’or à travers divers procédés techniques et/ou chimiques.
Génocide culturel : Destruction intentionnelle du patrimoine culturel d’un peuple.
Interview de Taneyulime, présidente de l’organisation ou l’association AUKAE
Interview d’Adriani Maffioletti, activiste écolo et pour les droits des personnes autochtones
Interview d’Eugénie Clément-Picos, doctorante en anthropologie sociale à l’EHESS et en poste à UCLA
IPBES - Sustainable Use of Wild Species Assessment
IPBES - Global Assessment Report on Biodiversity and Ecosystem Services
UNEP - Indigenous Peoples: The unsung heroes of conservation
Global Witness - Global Witness reports 227 land and environmental activists murdered in a single year, the worst figure on record
Survival Internation - Convention 169
France Info - Brésil : une nouvelle loi menace les peuples autochtones et leurs terres
Comment le changement climatique impacte les Terres australes et antarctiques ?
Comment gérer les dégâts causés par le changement climatique ?
Comment Saint-Pierre et Miquelon va être impacté par le changement climatique ?
Comment Mayotte va être impactée par le changement climatique ?
Comment la Martinique va être impactée par le changement climatique ?
Faut-il arrêter d’extraire les énergies fossiles du sol ?
Lien copié !
Article enregistré