Accueil
8 min

Pourquoi on dit « Fin du monde, fin du mois, même combat » ?

poll bubble
SONDAGE
T’as déjà entendu cette expression quelque part ?
  • Oui ça me dit qqch !
  • Non pas du tout 🤷

On est d’acc pour dire que la transition concerne tout le monde et qu’on doit tous·tes faire des efforts. Mais est-ce qu’on peut demander la même chose aux gens qui gagnent beaucoup d’argent et à ceux qui en gagnent très peu ?

C’est toute la question derrière l’expression « fin du monde, fin du mois, même combat ».

« Fin du monde, fin du mois, même combat » : ça vient d’où ?

Le sociologue Yann le Lann explique dans une publication de l’institut Montaigne que le lien entre les enjeux écologiques et les enjeux sociaux était « de fait au cœur de la crise des Gilets jaunes » (entre 2018 et 2019). Il ajoute :

« Le mouvement pour le climat et le mouvement des Gilets jaunes se sont profondément influencés l’un et l'autre. Leurs messages respectifs ont évolué pour ne pas apparaître comme concurrents, ce qui explique l'invention du slogan "fin du monde, fin du mois, même combat". »

En gros, ça veut dire qu’on ne peut pas lutter contre le réchauffement climatique sans lutter contre les inégalités sociales, et que dans la lutte contre « la fin du monde », on ne doit pas oublier ceux qui ont parfois du mal à boucler financièrement « la fin du mois » 💸💸💸

Les plus modestes sont les moins responsables du réchauffement climatique

Plus t’es riche, plus tu pollues ?

Si on regarde qui sont les plus gros pollueurs, on se rend vite compte de la différence entre les plus riches et les plus pauvres.

poll bubble
QUIZ
Les 10% les plus riches émettent combien de CO2 par rapport aux 50% les plus pauvres ?
  • 2 fois plus
  • 5 fois plus
  • 10 fois plus

Parmi les objectifs de l'Accord de Paris, à l’horizon 2030 il faut que tout le monde réduise ses émissions de CO2 à 5 tonnes par an pour limiter le réchauffement climatique en dessous de +2°C.

En résumé : 50% de la population y est déjà et les classes populaires, qu’elles se disent écolo ou non, sont meilleures élèves que les classes les plus riches. Après on oublie pas que l’objectif final est bien que tout le monde soit descendu à max 2 tonnes de CO2/personne/an en 2050 🤡

En plus, une étude Oxfam de 2020 dit que les réductions d’émissions de l’Union Européenne depuis 1990 « n’ont été obtenues que parmi les citoyen·nes européen·nes à revenu faible et moyen, alors que les émissions totales des 10% les plus riches ont augmenté ».

Qu’est-ce qui explique des différences aussi importantes d’émissions de gaz à effet de serre ?

  • C’est principalement le mode de vie de chacun·e. Plus on est riche, plus on consomme des biens et des services → leur production et leur livraison vont alors émettre du carbone. Donc plus on consomme, plus notre empreinte carbone augmente. « Quand on augmente de 10% les revenus d’une personne, on augmente de 8% ses émissions de CO2. C’est presque des courbes parallèles » précise Christian Gollier, économiste et professeur à la Toulouse School of Economics 💰
  • Le choix des transports est aussi très important. Logiquement, les personnes avec de grosses voitures, qui ont des résidences à l’autre bout de la planète et qui voyagent en avion, vont émettre plus de CO2 que ceux qui habitent près de leur travail et se déplacent en transport en commun. Et ce n’est pas rien : les transports sont la première source d'émissions de CO2 en France 🚗

Mais les plus modestes sont aussi les plus touchés par les problèmes environnementaux

Le problème, c’est que malgré tout ce qu’on vient de dire, les plus pauvres sont aussi les plus affectés par les conséquences du changement climatique et de la crise écologique dans son ensemble 😶

Le Rapport sur les inégalités climatiques 2023 est très clair :

  • Plus tu es pauvre → plus tu es vulnérable face aux désastres climatiques → plus tu es pauvre → … etc
  • 780 millions de personnes vivant dans les pays du Sud sont exposés à la fois au risque de pauvreté et à des risques d’inondations.
  • À l’intérieur même des pays, les plus pauvres sont plus affectés : les pertes de revenus associés aux désastres climatiques sont 70% plus importantes chez les 40% les plus pauvres.

Ça fait beaucoup de chiffres déso. Alors voilà un exemple concret : en 2005 l’ouragan Katrina aux États-Unis a beaucoup plus impacté les plus pauvres, comme l’explique l’historienne Valérie Chansigaud : « Les populations qui de part leur pauvreté n’avait pas de véhicule pour quitter la ville ont été beaucoup plus touchées par l’ouragan que les autres. »

Mais on peut regarder plus proche aussi : par exemple la répartition géographique des aires d’accueil pour les gens du voyage.

poll bubble
QUIZ
Quelle part des aires d’accueil sont situées dans des zones polluées ?
  • 22%
  • 42%
  • 62%

Pour Valérie Chansigaud, le développement urbain n’a pas été fait de la même manière dans les quartiers défavorisés.

« Aujourd’hui les municipalités commencent à impliquer les habitant·es dans le développement urbain, mais la manière dont c’était fait jusqu’ici a donné des conditions de vie médiocres en termes de qualité de vie et d’environnement. »

D’ailleurs, le rapport sur les inégalités climatiques réaffirme que les vagues de chaleur affectent davantage les centres urbains vulnérables 🤒 (des quartiers peu végétalisés, bâtiments mal isolés, des logements situés sur des zones inondables…).

Et les plus touchés par les politiques environnementales

On résume : l’impact des plus modestes sur la planète est assez faible + ils sont les premiers à subir les conséquences du changement climatique. Pourtant les politiques mises en place par les gouvernements pèsent beaucoup plus sur eux que sur le reste de la population 😓 On parle « d'impact différencié » qu'ont certaines mesures sur les différentes classes sociales.

poll bubble
QUIZ
Un exemple connu de taxe contre la pollution ?
  • La taxe anti-riche
  • La taxe contre les jets privés
  • La taxe carbone

On pourrait penser que si les plus riches sont de plus gros pollueurs (comme on l’a vu un peu avant) la taxe les atteindrait plus. Mais en réalité, les plus modestes dépensent une part plus importante de leur budget dans l'énergie, surtout pour se déplacer. Donc « cette taxe impactera particulièrement les plus pauvres et accentuera les inégalités » explique Christian Gollier.

L’ADEME montre, dans une étude qui date de 2019, que la taxe carbone représente 1% du revenu chez les 10% les plus modestes (110€ par an en moyenne) VS 0,2% chez les 10% les plus riches (203€ par an en moyenne).

Autre exemple : l’État a mis en place des bonus lors de l’achat des véhicules selon leurs émissions → l’idée est d’encourager l’acquisition de véhicules « propres » en offrant une prime aux acheteurs. « Ceux qui en bénéficient sont ceux qui peuvent s’en acheter une et il s’agit des plus riches. Donc là aussi c’est une politique régressive » déplore Christian Gollier. À l’inverse un système de malus existe aussi → il pénalise l’achat de certains véhicules polluants en faisant payer un coût supplémentaire lors de la demande du certificat d'immatriculation.

Toutes ces politiques génèrent des recettes fiscales → et si elles étaient utilisées pour gommer le plus possible les inégalités ?

Transition écologique et justice sociale : y a des solutions ?

Taxer les riches pour financer la transition ?

Dans leur rapport sur les inégalités climatiques, les auteurs considèrent qu’il y a plein de manières de combiner les deux 😌

D’abord, ils estiment que les plus riches étant aussi ceux qui polluent le plus, il faudrait mettre en place plus de politiques qui reposent sur eux : c’est une question « d’équité », mais aussi « d’efficacité » ! Par exemple :

  • Des taxes sur les hauts revenus ou sur les entreprises
  • Des régulations strictes sur les achats très polluants (les véhicules SUV, les billets d’avion)
  • Des cartes « budget carbone » individuelles pour limiter les très hautes empreintes carbones individuelles
  • L’interdiction des investissements et subventions pour des secteurs très polluants comme les énergies fossiles

Récemment, l'économiste Jean Pisani-Ferry a même émis l’idée d’un « ISF climatique » : un impôt sur la fortune pour demander un effort aux 10% les plus aisés.

Les revenus générés par ces taxes pourraient servir à financer d’autres choses, qui permettraient aux classes populaires et aux classes moyennes de faire leur transition aussi :

  • Des subventions pour que les classes moyennes investissent dans les énergies bas-carbone et dans des logements moins énergivores
  • Le développement des transports publics et des énergies renouvelables
  • La rénovation énergétique des logements sociaux
  • De réels programmes d’accompagnement pour que les travailleur·euses de secteurs polluants puissent se reconvertir, etc !

Et la taxe carbone dans tout ça ?

La taxe carbone elle-même n’est pas nécessairement à jeter, d’après Christian Gollier. Mais à condition de redistribuer l’argent qu’elle permet de récolter dans des politiques sociales, « par exemple en créant une compensation pour les ménages les plus modestes par rapport à leur perte de pouvoir d’achat ».

D’ailleurs en Indonésie, différentes politiques concernant les énergies fossiles ont été accompagnées de mesures pour les personnes aux revenus modestes. Et selon le rapport Climate Inequalities 2023, de potentielles hausses du prix de l’énergie ne mènent pas nécessairement à une perte de bien-être pour les plus pauvres !

Pourquoi la précarité étudiante est aussi un enjeu écologique

Interview de Valérie Chansigaud, historienne
Interview de Christian Gollier, économiste
Institut Montaigne - Green Deal, un nouvel élan - "Fin du monde, fin du mois, même combat" ?
Inequality Lab - Climate Inequality report 2023
Oxfam - Combattre les inégalités des émissions de CO2 dans l’Union Européenne
Ministère de la Transition Écologique - Chiffres clés du climat - France, Europe et Monde - Édition 2022
ADEME - La Contribution climat solidarité
Service public - Taxe malus 2023 sur les véhicules les plus polluants

Esther Meunier
À la recherche de bonnes nouvelles
Louisa BENCHABANE
En quête de solutions