Accueil, NOWU. Ta planète. Ton média
10 min

Les riches polluent-ils vraiment plus ?

Les 1 % les plus riches de la planète (soit environ 80 millions de personnes) émettent autant de gaz à effet de serre que les 5 milliards de personnes les plus pauvres. C’est ce que révèle Oxfam dans son rapport, paru le 20 novembre, intitulé « L’égalité climatique : une planète pour les 99 % », où l’ONG analyse les émissions liées à la consommation associées à différentes catégories de revenus jusqu’en 2019.

Les 30 dernières années ont été marquées par une croissance sans précédent des émissions de CO2. Sur cette période, les 1% les plus riches ont émis deux fois plus de carbone que la moitié la plus pauvre de l’humanité. Si les ultra-riches polluent énormément, c’est à cause de leur mode de vie et aussi des émissions résultant de leurs investissements dans les entreprises.

Pourquoi les riches polluent plus ?

La surconsommation des riches

Tout le monde ne contribue pas de la même manière au changement climatique. Dans un rapport paru le 20 octobre 2023, l’ONG Oxfam explique qu’en Europe les 10 % les plus riches émettent environ 24 tonnes de CO2 par an et par personne. « C’est 8,5 fois la quantité nécessaire en 2030 pour rester en dessous de la limite de sécurité de 1,5°C », précisent les auteurs. De leur côté, les 50% des personnes les plus modestes émettent autour de 5 tonnes de CO2 par an, c’est environ deux fois moins que la moyenne.

En France, « les 10% les plus riches émettent entre 15 tonnes et 35 tonnes de CO2 par personne et par an », ajoute Lucas Chancel, co-directeur du Laboratoire sur les inégalités mondiales.

Comment expliquer ces différences ? D’abord par la consommation et le mode de vie de chacun. Plus on est riche, plus on consomme des biens et des services et c’est leur production et leur livraison qui vont alors émettre du carbone.

Le choix des transports est aussi très important. « On observe que le transport représente une part importante des émissions des ménages les plus modestes mais ces émissions sont liées à des déplacements pour lesquels il n’existe aucune alternative à l’utilisation de la voiture », développe Lucas Chancel. Pour les populations aisées, les dépenses en CO2 se font différemment : ils vivent plutôt près du travail, mais vont prendre davantage l’avion. « En un seul voyage, un Français qui fait partie des 10 % les plus aisés va grimper à un niveau d’émissions total qui, finalement, n’est pas si lointain que ça de ce que va émettre en une année entière une famille qui fait partie des 50 % de Français les plus pauvres », explique l’économiste.

Autre point important, les foyers modestes ont beaucoup plus de contraintes pour accéder, par exemple, aux voitures électriques. « C’est différent quand vous avez un demi-million sur votre compte, que vous contribuez aux émissions : là vous pourriez choisir des alternatives à dispositions », remarque Lucas Chancel.

Oxfam prévient dans son rapport que « pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux et éviter un effondrement écologique, les modes de vie des 10 % les plus riches doivent changer ».

Et celle des super riches

Là, on parlait des riches. Mais le cas des super-riches est important aussi : Oxfam rapporte dans son étude que 20 milliardaires produisent en moyenne plus de 8 000 tonnes de CO2 par an chacun.

La cause, ce sont par exemple leurs yachts et leurs jets : un superyacht génère à lui seul environ 7 000 tonnes de CO2 par an.

Autre enjeu relevé par Oxfam, la surconsommation des très riches rend également les produits de luxe et les activités très carbonées désirables pour l’ensemble de la population. « Cela joue un rôle important en encourageant une consommation superflue chez les 10 % riches et des désirs parmi les 40 % intermédiaires, mettant ainsi l’avenir des personnes et de la planète en danger encore plus grand », expliquent les auteurs.

Ces comportements contribuent aussi à dissuader un grand nombre de personnes de modifier leurs propres choix de vie. « Pourquoi devraient-ils faire des sacrifices alors que les super-riches ont carte blanche pour vivre une vie luxueuse et à forte intensité de carbone ? », interroge Oxfam.

Les investissements des super riches font qu’ils polluent plus

Si la consommation est importante dans l’empreinte carbone des populations les plus riches, ce n’est pas le seul élément à prendre en compte, loin de là. Toujours d’après le rapport d’Oxfam, pour les 1% les plus riches, les investissements peuvent représenter entre 50 et 70% de leurs émissions carbones.

Oxfam a aussi analysé les profils de 125 milliardaires (les plus riches des plus riches) et a estimé que leurs émissions sont plus d’un million de fois plus importantes que celles des 90% les moins riches (la plupart des gens, en somme). Et ça c’est notamment à cause de leurs investissements : tout l’argent que donnent ces personnes très riches à des entreprises qui elles-mêmes polluent.

En investissant, ces personnes soutiennent bien souvent des industries polluantes. Sur les 125 milliardaires évoqués plus haut, seulement 1 avait investi dans les énergies renouvelables, alors que leurs investissements dans des industries polluantes comme les énergies fossiles et le ciment étaient élevés, et allaient vers des groupes qui en plus de polluer, ne sont pas transparents sur la quantité d’émissions qu’ils génèrent et n’ont pas prévu de stratégie fiable et basée sur la science pour réduire ces dites émissions.

Pour bien comprendre à quel point les investissements des plus riches sont importants, prenons un cas particulier : celui de Bernard Arnault. C’est l’homme le plus riche du monde selon le classement Forbes 2023, et deux chercheurs indépendants ont calculé son empreinte carbone.

Elle s’élève à 8128 tonnes de CO2 si on prend en compte seulement sa consommation (ce qui est déjà énorme, puisque la moyenne en France est de 6,4 tonnes...). Mais si le calcul prend en compte ses investissements, c’est inimaginable : ça revient à 2 300 000 tonnes de CO2 (alors que la moyenne en France est de 10,7 tonnes). L’impact des plus riches sur le climat est donc colossal.

Ce sont les pauvres qui subissent le plus cette pollution des riches

Problème : ce ne sont pas les riches qui subissent le plus directement les conséquences de leurs émissions de gaz à effet de serre. Ce sont les plus pauvres, les plus vulnérables, qui sont pourtant aussi les moins responsables du changement climatique. On parle d'inégalités climatiques.

Le rapport d’Oxfam indique ainsi que les émissions des 1% les plus riches en 2019 suffiraient à contribuer au changement climatique au point de causer à l’avenir 1.3 millions de morts en excès dues à la chaleur (ce qui se passe pendant les canicules, qui vont devenir plus fréquentes et plus intenses).

À l’échelle nationale

Lucas Chancel explique très bien les inégalités qu’on peut avoir au sein d’un même pays.

« Certaines parties de la population sont plus exposées : par exemple les personnes qui travaillent dans l’agriculture dépendent beaucoup plus de la nature, et seront donc les premières touchées en cas de catastrophe climatique. »

Il faut aussi prendre en compte la résilience des personnes. Lucas Chancel prend l’exemple de deux foyers qui subissent une tornade ou une inondation, mais l’un est riche et l’autre pas. Le foyer riche aura plus de capacité à résister que le foyer pauvre :

  • D’abord, les personnes avec des revenues plus faibles ont aussi plus de chance de vivre dans des zones inondables ou vulnérables comme des lits de rivière asséchées ou des zones côtières mal protégées.
  • Ensuite, il y a plus de chance que l’habitation du foyer pauvre soit moins résistante (par exemple les abris de fortune dans certains bidonvilles).
  • Et le foyer riche dispose plus probablement d’une voiture pour s’enfuir et se mettre à l’abri ailleurs, alors que les plus pauvres non : lors de la tempête Katrina aux États-Unis, des personnes n’ont pas pu fuir faute de disposer d’un véhicule.

Après la catastrophe, le foyer riche aura aussi plus de moyens pour se reconstruire et s’en remettre que le foyer pauvre.

Le rapport élaboré par Lucas Chancel et cité par l’ONG Oxfam indique aussi que les femmes, les personnes racisées et les plus pauvres dans les pays du Sud sont les populations qui sont touchées le plus durement.

À l’international aussi

Ces inégalités sont aussi ressenties à l’international : parmi les gens touchés par des événements climat extrêmes depuis 1991, 97% vivaient dans des pays en développement selon un rapport d’octobre 2022 de la Loss and Damage Collaboration. Ça concerne 189 millions de personnes par an en moyenne.

Selon un autre rapport de l’ONU et de l’Organisation Météorologique Mondiale, qui s’est penché sur une période différente (depuis les années 70, soit les 50 dernières années), plus de 91% des morts causés par des désastres climatiques se sont produites dans des pays en développement.

Sans même parler directement de morts, les impacts se ressentent différemment d’un endroit du globe à l’autre : en Afrique, la productivité agricole a décliné de 34% depuis 1961, principalement à cause du changement climatique, et c’est plus que n’importe quelle autre région.

De manière générale, les pays classés comme les plus vulnérables face au changement climatique se trouvent en Afrique, en Asie du Sud, en Amérique du Sud et Amérique centrale, dans l’Arctique, ou sont de petits États insulaires. Ce sont aussi ceux qui ont le moins de ressources pour faire face à ces désastres.

Inégalités de richesse et inégalités d’impact du changement climatique : il y a des solutions ?

Alexandre Poidatz, l’un des co-auteurs du rapport d’Oxfam estime que « les crises des inégalités et du changement climatique sont entremêlées et s’alimentent l’une et l’autre ». Pas d’autres solutions d’après lui que de s’attaquer aux deux en même temps donc. Et ça peut passer par plusieurs choses.

Avoir un gros impact sur le climat signifie aussi qu’on a une marge de manœuvre plus grande

Si les riches et en particulier les ultra-riches sont particulièrement responsables du changement climatique, ils pourraient aussi être moteurs de la transition écologique, en réorientant leurs investissements.

« Ce sont de riches hommes blancs, principalement dans le Nord Global, qui ont la plus grosse responsabilité. »
Oxfam – Rapport Inégalités climatiques : une planète pour les 99%

On l’a dit plus haut : pour l’instant, leur argent finance en grande partie des industries polluantes, et oriente aussi les stratégies de ces grands groupes industriels. Cela leur donne une influence réelle ! Cesser d'investir dans des activités polluantes pour investir dans des activités vertueuses est un levier, peser sur l’orientation stratégique de ces groupes industriels pour leur faire adopter une démarche plus écolo en est un autre.

Ces personnes ont aussi une influence sur la vie politique : en finançant des campagnes électorales, en travaillant en politique puis pour des industries polluantes et inversement, en orientant la ligne éditoriale de média qu’elles possèdent... elles façonnent les décisions politiques qui se prennent et peuvent dont favoriser ou bloquer des mesures vertueuses écologiquement.

Un exemple documenté est celui de Charles Koch, cité par Oxfam dans son rapport : ce dirigeant industriel américain milliardaire a dépensé de l’argent pour influencer la Cour Suprême des États-Unis alors qu’elle devait se prononcer sur la capacité de l’Agence de Protection Environnementale à réguler les émissions carbones. Pas manqué : la Cour Suprême a limité la capacité de l’Agence de Protection Environnementale et les entreprises énergétiques du pétrole et du gaz de Koch Industries vont en bénéficier.

La fiscalité : un levier à activer ?

Pour accompagner la transition, tout en réduisant les inégalités, Oxfam estime que cela passe par l’imposition des plus riches. L’ONG de lutte contre la pauvreté propose par exemple :

  • D’introduire des impôts permanents et progressifs sur la fortune nette pour les 1 % les plus riches et des impôts sur les droits de succession, les terres.
  • D’augmenter de manière permanente les impôts sur les revenus des 1% les plus riches, jusqu'à un minimum de 60% de leurs revenus du travail et du capital.
  • D’introduire des impôts permanents et automatiques sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises ayant des super profits dans tous les secteurs, à des taux compris entre 50 et 90 %.

« Nous pensons qu’à moins que les gouvernements n’adoptent une politique climatique progressiste, où les personnes qui émettent le plus sont invitées à faire les plus grands sacrifices, nous n’obtiendrons jamais de bonnes politiques dans ce domaine », estime Max Lawson, l’un des auteurs du rapport d’Oxfam.

Les revenus générés par ces taxes pourraient servir à financer d’autres choses, qui permettraient aux classes populaires et aux classes moyennes de faire leur transition aussi :

  • Des subventions pour que les classes moyennes investissent dans les énergies bas-carbone et dans des logements moins énergivores
  • Le développement des transports publics et des énergies renouvelables
  • La rénovation énergétique des logements sociaux
  • De réels programmes d’accompagnement pour que les travailleur et travailleuses de secteurs polluants puissent se reconvertir, etc !

Les pertes et dommages

Tout cet argent qui pourrait être récolté de cette manière pourrait aussi (pourquoi pas ?) servir à financer le fonds dédié aux pertes et dommages : un fonds destiné à venir en aide aux pays les plus vulnérables face aux effets du changement climatique, mais qui ont le moins de moyens à disposition pour y faire face.

Interview de Lucas Chancel, Lucas Chancel, co-directeur du Laboratoire sur les inégalités mondiales et co-auteur du Rapport sur les inégalités mondiales 2022
World Inequality Database - Rapport sur les inégalités mondiales 2022
Oxfam - L’égalité climatique : une planète pour les 99 %
Loss and Damage Collaboration - The cost of delay : why finance to address loss and damage must be agreed at COP27

Louisa Benchabane
En quête de solutions
Esther Meunier
À la recherche de bonnes nouvelles

Lien copié !

Article enregistré