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Les influenceurs ont-ils une responsabilité écologique ?
Esther Meunier&
Pauline Vallée
Esther Meunier&
Pauline Vallée
En France, 1 personne sur 3 suit au moins un·e influenceur·euse sur les réseaux sociaux → ça monte même à 2 personnes sur 3 chez les 18-25 ans. Ces créateurs et créatrices de contenu jouent un rôle bien plus important qu’on ne le pense : perçus comme cool et inspirant·es, ils façonnent nos imaginaires et nos habitudes de consommation. Surtout chez les jeunes !
Pour te donner des chiffres sur la conso, selon un récent sondage de Harris Interactive :
Via ce qu’ils mettent en avant dans leurs contenus, les créateur·ices de contenu vont aussi influencer ta conception de ce qui est « normal » et « désirable » : si quelqu’un que t’admires part tous les étés à Mykonos par exemple, et partage des super belles photos de ses vacances, est-ce que ça ne va pas te donner un peu envie d’y aller ? (sois honnête)
Vu que « un grand pouvoir implique de grandes responsabilités » (🤘), chez NOWU, on se pose la question : est-ce que les influenceur·euses n’auraient pas une forme de responsabilité écologique ?
« Un·e influenceur·euse, avec une parole valorisée par sa communauté, va forcément avoir un impact écolo, surtout quand il ou elle promeut des marques et modes de vie qui ne le sont pas » explique Amélie Deloche, co-fondatrice du collectif Paye ton influence.
Aujourd’hui l’influence sert, en grande partie, à promouvoir la consommation :
Si on reprend le cas du marketing d’influence, déjà le problème de base est qu’il encourage le fait d’acheter, toujours plus (alors que ce modèle consomme un max de ressources et n’est pas soutenable), mais aussi qu’il donne de la visibilité à des entreprises qui vendent des produits très polluants → des marques de fast-fashion ou d’ultra-fast-fashion par exemple, mais aussi des trucs plus inattendus !
Par exemple, au Salon de l’agriculture en 2023, une influenceuse a fait un partenariat avec l’entreprise Bayer (un des plus gros fabricants de pesticides) en publiant des stories sponsorisées auprès de sa communauté de 300 000 abonné·es, comme le rapporte le média Vakita. Elle a ensuite tout supprimé en s’excusant.
Petite lueur d’espoir : ce genre de contenus a de plus en plus de mal à passer auprès du public selon Amélie Deloche. « Typiquement c’est de plus en plus mal vu de promouvoir la fast-fashion, Boohoo et compagnie, donc ça fait évoluer leurs pratiques. Même le fait de prendre l’avion génère de plus en plus de critiques, en commentaire ou en [messages privés]. L’audience a de vraies attentes, ça force la prise de conscience. »
Même quand des créateurs et créatrices de contenus se positionnent sur les sujets environnementaux, ils peuvent être visé·es par des critiques, notamment sur leur manque de cohérence.
Ça a par exemple été le cas pour des streamers·euses qui ont participé au Z Event en 2022 (un événement caritatif qui récoltait des fonds pour des assos écolo), et qui ont ensuite participé, quelques semaines plus tard, au Grand Prix Explorer ou qui ont pris l’avion cet été pour se rendre au Final Fantasy XIV Fan Festival de Las Vegas.
Même chose pour la hype autour de la « désinfluence » (une tendance apparue en 2023 où des influenceur·euses poussent à… ne pas acheter certains produits) : le principe (sympa) est vite tombé à l’eau, comme l’explique Amélie Deloche.
« Ça a été une trend sur TikTok, mais maintenant on n’en parle plus. Autant au départ le principe c’était de dire “ne suivez pas les dernières tendances ça sert à rien”, mais c’est très vite devenu “n’achetez pas ça, achetez plutôt ça”, donc quand même un appel à la consommation en fin de compte. »
Il y a aussi des accusations de greenwashing, parce que toutes les mentions « responsables » ne sont pas forcément sérieuses, en tous cas d’un point de vue écologique.
Par exemple : le certificat de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité « influence responsable » peut être obtenu suite à… une session powerpoint de 3h sur les bonnes pratiques de placement de produits et le greenwashing + un test auquel il suffit d’obtenir 70% de bonnes réponses. Bref, selon Amélie Deloche, « c'est un bon début mais ce n'est pas assez pour s'assurer que les influenceurs mettent en place une influence vraiment responsable, notamment sur le côté écologie ».
En réalité, aucun contrôle n’a vraiment lieu, n’importe qui peut se livrer à n’importe quel type de greenwashing dans le monde de l’influence.
Tolt, influenceur voyage qui s’est converti au slow travel, cite par exemple le compte Beautiful Destinations, qui, il y a un an, annonçait en description « Nous sommes une entreprise “climate-positive” qui défend une vision soutenable du voyage » → « Pourtant j’étais tombé sur une vidéo où un mec baladait son chien en hélicoptère, ou des gens sur des yachts en Grèce… » Pas super « climate-positive » comme comportement (d’ailleurs cette mention a été changée depuis) 🤷
Même si le milieu de l’influence a l’air assez nullos côté responsabilité écologique, il y a quand même des trucs positifs.
Par exemple, des créateur·ices comme AIM ou Aurane K. se sont lancé·es avec l’idée de faire de l’influence responsable. Toutes deux se sont « beaucoup renseignées sur les composants en cosmétique, sur les matières » et « épluchent les sites » des marques qui leur propose des collaborations, posent des questions, avant de les accepter ou non.
« J’ai refusé pas mal de collaborations. En même temps, si je me couchais le soir en ayant provoqué une rupture de stock Nike comme c’est déjà arrivé à des influenceuses, je dormirais pas ! »
AIM, influenceuse et activiste
Toutes ces vérifications font, pour elles, partie de leur travail. Certaines agences font aussi ce tri en amont pour les client·es qu’elles représentent. Amélie Deloche travaille par exemple avec l’agence Loopin (qui représente par exemple Manon Bril et Cyrus North) pour vérifier s’il n’y a pas de greenwashing dans les partenariats commerciaux qu’elle propose à ses influenceur·euses.
Mais si tout le monde ne les suit pas sur ce terrain, c’est parce qu’il y a pas mal de difficultés pour les influenceur·euses qui voudraient se tourner vers des pratiques un peu plus éthiques.
D’abord, les finances. D’après Amélie Deloche, c’est difficile aussi bien pour les petits comptes que pour les gros : les premiers ne peuvent pas vraiment se permettre de refuser le peu de partenariats qu’on leur propose pour vivre, mais « les seconds ont aussi un mode de vie associé à l’argent qu’ils gagnent, parfois tu t’en sers pour réinvestir dans une marque que tu as créée, tu as des gens à payer… donc t’es un peu coincé pour rester à l’équilibre [niveau budget] ».
Tout ça c’est dû au fait que trouver des partenariats « éthiques », c’est pas évident. Aurane K. explique avoir travaillé avec le média ENTR et les assos la Croix Rouge et Handicap International, « j’ai bien aimé, mais c’est rare comme opportunités ». Côté voyage, Tolt a renoncé aux sponsoring par les compagnies aériennes pour se tourner vers les agences de tourisme françaises.
Côté gros influenceurs et influenceuses, le cas de Marie Lopez, alias Enjoyphoenix, est assez exceptionnel. Elle a décidé en 2019 de ne plus accepter tous les envois de produits des marques, pour porter une vision plus responsable de l’influence.
Au-delà de l’aspect économique, elle témoigne dans un épisode de son podcast que ce choix amène aussi des réactions hostiles 👇
« Quand on se positionne c’est difficile, dès qu’on fait un écart c’est “ah mais tu fais ça alors que tu prônes l’écologie ?” et c’est super dur, c’est comme si tu n’avais pas droit à l’erreur alors qu’on est des humains aussi. »
Il y a 2 retours de bâton possible :
L’écologie reste un sujet clivant pour beaucoup de personnes, et c’est donc une crainte en plus pour les influenceur·euses de s’exposer à une perte d’abonné·es, ou au contraire de ne pas pouvoir faire grossir leur communauté. AIM, qui a fait ce choix dès le départ, estime que « c’est un frein évident ».
« La plupart des gens sur les réseaux sociaux sont là pour s’amuser, moi la première. Ils n’ont pas forcément envie de voir une meuf qui vient leur expliquer le féminisme, le racisme, et qu’on va tous mourir [à cause de la crise écologique]. »
Pour Aurane K, « plus on grossit, plus c’est difficile de rester dans l’influence éthique ». Elle-même qui s’était lancée avec des règles relativement strictes a décidé de s’ouvrir à des partenariats un peu plus larges. « Par exemple des marques de sextoy, on ne peut pas dire que leurs produits soient éthiques, mais ces entreprises payent contrairement à d’autres. »
Eh oui : faire la promo de produits éthiques, c’est collaborer avec des marques qui souvent n’ont pas ou peu de budget.
Selon elle, il y a aussi un vrai biais sexiste : « Quand un homme s’empare d’un sujet, il est forcément perçu comme plus “sérieux” qu’une femme. On a donc des gens comme Bon Pote qui arrivent très bien à vivre avec leur crowdfunding*. Mais moi, quand j’ai lancé un Tipeee, ça n’a pas pris. Ça a été pareil pour d’autres influenceuses écolo. En plus il y a un vrai devoir d’exemplarité tourné spécifiquement vers les femmes, beaucoup plus que vers les hommes ! »
Malgré tout, AIM (comme d’autres) persiste à rester très sélective dans ses choix.
« Tu me donnes 1000 euros par mois et je vis tranquille. Donc la question de si “on arrive à en vivre” est assez piège parce que ça dépend de tes attentes : ce sont des choix. Mais on peut pas non plus juger les gens sur leur rapport à l’argent. »
Toutes les deux sont assez sceptiques sur la compatibilité réelle entre influence et écologie. « À la fin, ton boulot ça incite à la consommation, moi si je m’écoutais je ferai plus la promo de rien et je dirais juste aux gens de faire pousser leurs tomates, s’amuse AIM. Mais bon, quel métier est 100% écolo ? »
En résumé, si on pense en termes de décroissance, ce métier est incompatible avec la transition, par contre il est compatible si on parle de changer nos habitudes, estime Aurane K. D’autant plus que, comme le souligne AIM, l’influence peut aussi servir à accomplir de belles choses comme des levées de fonds pour des associations.
Tu peux toi aussi, en tant qu’abonné·e, avoir un impact sur les influenceur·euses que tu suis !
Unboxing : Format vidéo où un·e créateur·ice de contenu se filme en train de déballer un ou plusieurs produits neufs face caméra, et en réagissant à la découverte du produit.
Haul : Format vidéo où un·e créateur·ice de contenu se filme en train de présenter ses derniers achats mode (défilé avec les nouvelles tenues, commentaires sur les vêtements…).
Crowdfunding : Ou « financement participatif » → permet à une ou plusieurs personnes de récolter de l’argent en ligne via un système de cagnotte. Il existe plusieurs plateformes de crowdfunding : Tipeee, Ulule, KissKissBankBank…
Interview d’Amélie Deloche, co-fondatrice du collectif Paye ton influence
Interview d’Aurane Krée du compte @aurane.k
Interview de Benjamin Martinie du compte @globetolter
Interview d’Annabelle du compte @aim.rea
ARPP - Influence responsable
Ouest France - Influenceurs. Un tiers des Français déclarent « suivre » en ligne des créateurs de contenus
Harris Interactive - Les réseaux sociaux, pour le meilleur et pour le pire
Vakita - Le géant des pesticides Bayer s'offre des influenceurs
Tolt - Le problème avec les influenceurs voyage
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