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Et si l’inaction environnementale devenait un crime contre l’humanité ?

Ça paraît très niche comme question, mais ça ne sort pas de nulle part. En fait, les atteintes humaines à l’environnement font déjà l’objet d’actions en justice (on t’en parle d’ailleurs plus en détail ici).

C’est le cas par exemple de l’Affaire du Siècle, lancée par plusieurs assos qui ont déposé en 2019 un recours devant le tribunal administratif de Paris. Ce qu’elles dénoncent : l’insuffisance des mesures prises par l’État français pour respecter ses engagements climatiques. La justice a bien reconnu une faute de l’État et lui a donné une deadline pour réparer ses torts 🧑‍⚖️

QUIZ
L’État doit corriger le tir avant le :

En revanche, aucun État ni politique n’a été condamné pour crime contre l’humanité à cause de son manque d’action environnementale.

Alors quel intérêt de passer au niveau supérieur ?

Qu’est-ce qu’un crime contre l’humanité (déjà) ?

Petit rappel droit international avec l'avocate Marine Calmet, aussi présidente du programme Wild Legal : « Le concept de crime contre l’humanité se développe à partir de 1945, suite aux crimes nazis, et aboutit en 2002 avec la création de la Cour Pénale Internationale. »

La Cour Pénale Internationale, c’est LA Cour habilitée à juger les crimes contre l’humanité (parmi d’autres trucs pas ouf comme les crimes de génocides ou les crimes de guerre). Et le statut de Rome, qui lui donne ses attributions, définit aussi ce qui est considéré comme un crime contre l’humanité (c’est la définition la plus récente).

À savoir  : des actes comme le meurtre, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation ou le transfert forcé de population, les disparitions forcées de personnes, et pas mal d’autres choses… mais qui doivent être « commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ».

→ Il faut viser des populations civiles et vouloir commettre le dommage pour que ça compte comme un crime contre l’humanité. Bref, qu’il y ait une intention de nuire 🤷‍♀️

À quoi ça sert de faire reconnaître un crime contre l’humanité ?

QUIZ
Entre 2030 et 2050, le changement climatique pourrait causer :

Faire juger des actes considérés comme un crime contre l’humanité, ça peut avoir plusieurs utilités, et notamment :

  • Dissuader de les commettre
  • Faire prendre conscience de l’impact de ses décisions/ses actes
  • Obtenir des réparations (par exemple, des compensations financières)

Bref, ça permettrait de mettre la pression aux leaders mondiaux afin qu’ils et elles prennent des mesures beaucoup plus ambitieuses pour faire face à la crise environnementale.

L’inaction climatique pourrait-elle être reconnue comme un crime contre l’humanité ?

A priori, non…

Aujourd’hui, les crimes environnementaux peuvent être poursuivis par la Cour Pénale Internationale, mais sous certaines conditions → s’ils sont commis pour faciliter un autre crime, qui lui est bien mentionné dans les statuts de la CPI.

Par exemple : « si un fleuve a été délibérément pollué afin de déporter ou détruire une population » d’après Fadi El Abdallah, le porte-parole de la CPI, interrogé par 20 minutes. Mais clairement, ce cas de figure est assez rare.

« À moins de tomber sur un chef d’entreprise ou un dirigeant sociopathe, il n’y a pas d’attaque environnementale directe et généralisée contre les populations. Ce qui pose problème c’est le “business as usual”. Le manque d’action tout court. »
Marine Calmet

La plupart des dommages environnementaux, ou l’inaction climatique d’aujourd’hui qui cause déjà des morts, ne peuvent donc pas vraiment être jugés par la CPI pour l’instant.

… mais

Le droit, la loi, « ça peut évoluer, car c'est le reflet de notre société » souligne Louise Tschanz, avocate et fondatrice du cabinet Kaizen Avocat. Surtout à l’échelle française et/ou européenne, complète-t-elle, modifier le droit international restant un peu plus compliqué.

L’organisation internationale Stop Ecocide propose pourtant de compléter le statut de Rome (le texte qui définit l’action de la Cour Pénale Internationale, pour rappel) en y ajoutant l’écocide. Il servirait à poursuivre pénalement les personnes « à haute responsabilité » (chef d’État, ministre, cadre d’entreprise…) qui ont pris, en connaissance de cause, des décisions entraînant la destruction/dégradation massive d’écosystèmes.

Le problème peut aussi être pris à l’envers 🙃 : « L’écocide n’est pas encore reconnu en droit international, souligne Marine Calmet, en revanche on peut reconnaître la violation des droits humains, et donc amener la question de l’écocide sur le tapis. »

Un exemple concret : l’Association de défense des peuples autochtones a déposé en août 2021 un recours contre le président brésilien Jair Bolsonaro, pour écocide et génocide des peuples autochtones. La CPI est en train d’instruire le dossier, c’est-à-dire voir s’il y a matière ou non à ouvrir un procès. S’il a lieu, ce procès pourrait permettre de juger des décisions politiques prises par Bolsonaro, comme l’autorisation d’exploiter les ressources naturelles de territoires autochtones protégés en Amazonie.

SONDAGE
Toi perso, tu penses que ce serait une bonne idée ?

Interview de Marine Calmet, avocate et présidente du programme Wild Legal
Interview de Louise Tschanz, avocate spécialiste en droit de l’environnement et fondatrice du cabinet Kaizen Avocat
20 minutes - Ecocide: Nos chefs d'Etat pourront-ils être jugés pour crime contre l'humanité ?
Le Monde - La justice ordonne au gouvernement de « réparer le préjudice écologique » dont il est responsable
Le Monde - Au Brésil, des indigènes demandent à la CPI d’ouvrir une enquête contre Jair Bolsonaro pour « génocide »
OMS - Changement climatique et santé
Stop Ecocide
World Economic Forum Global Risks Perception Survey 2021-2022

Esther Meunier
À la recherche de bonnes nouvelles
Pauline Vallée
Voisine de Totoro

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