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L’intelligence artificielle peut-elle vraiment aider à sauver la planète ?
Louisa Benchabane&
Pauline Vallée
Louisa Benchabane&
Pauline Vallée
Ben déjà, on a posé la question à chatGPT.
Il n’y a pas de définition universelle valide de l’intelligence artificielle (IA). Pour la définir, la CNIL se réfère à la définition du Parlement européen, en la qualifiant de « tout outil utilisé par une machine afin de “reproduire des comportements liés aux humain·es, tels que le raisonnement, la planification et la créativité” ».
En gros, un outil relève de l’intelligence artificielle quand il est programmé pour reproduire un raisonnement humain sur certaines tâches, qui peuvent être très très larges : générer du texte, reconnaître des éléments précis dans une image, jouer aux échecs, prendre une décision dans une situation donnée…
Il existe différents types d’IA. Celles hyper connues en ce moment, comme Midjourney ou chatGPT, sont par exemple des intelligences artificielles génératives car elles créent des images ou du texte à partir des instructions que tu vas leur donner.
Il existe aussi différents modes d’apprentissage, comme le deep learning (bienvenue dans la tech, beaucoup d’anglicismes 🤭) → on schématise de fou, mais en gros, ça consiste à faire s’entraîner en mode automatique des réseaux de neurones artificiels, à partir de données.
Quelques études ont essayé de donner un chiffre sur l’impact de l’IA.
Mais aucune n’a de validité scientifique, car leur méthodologie reste très floue. Faut donc prendre ces chiffres avec des méga pincettes.
En réalité, c’est impossible de dire pour le moment si l’IA va permettre de décarboner* nos modes de vie. Déjà, c’est une technologie encore trop récente (même si elle progresse très vite), et on manque d’études fiables qui mesurent son impact réel.
MAIS elle est déjà utilisée dans certains domaines. Petit tour d’horizon (non exhaustif) 👇
Une première utilisation de l’intelligence artificielle est le calcul de l’empreinte carbone (des individus, entreprises, États…) → c’est l’objectif de l’entreprise CO2 AI, créée par Charlotte Degot, qui analyse l’activité des entreprises grâce à une IA pour comprendre quelle(s) part(s) des activités de ces entreprises polluent le plus.
« L’enjeu est de mesurer leur empreinte carbone, de savoir où elles émettent ces émissions de gaz à effet de serre, et ensuite trouver un moyen de les réduire, résume Charlotte Degot. Ça permet de repérer les “points rouges”, là où y a un potentiel d’amélioration. »
Une chaîne de supermarché américaine, accompagnée par l’entreprise, a ainsi avancé son objectif de neutralité carbone de 2050 à 2040 → cette méthode leur a donné plus de visibilité et donc permis de réduire leurs émissions 10 ans plus rapidement que prévu 👀
« C’est impossible d’atteindre un tel niveau de précision sans intelligence artificielle » ajoute Charlotte Degot. Faire appel à une IA permet de réaliser des calculs très complexes, avec beaucoup de données, de diminuer les marges d’erreur, et le tout beaucoup plus vite que ce que ferait un humain. « Ça permet d’accélérer le changement, et que les entreprises se fixent plus rapidement des objectifs ambitieux pour réduire leur impact sur l'environnement. »
Un autre exemple : RTE (l’entité qui gère le réseau électrique en France) fait appel à l’IA pour mieux prévoir et gérer les flux d’électricité, surtout dans un contexte où une part grandissante de l’électricité est produite par des énergies renouvelables (qui sont plus imprévisibles).
« On travaille aussi sur des assistants IA pour les “aiguilleurs” du système électrique, qui ressemblent à des “Waze*” de l’électricité : ils vont proposer le meilleur chemin en temps réel pour faire circuler le courant. Ils seraient aussi capables d’anticiper et gérer les aléas et incidents sur le réseau en identifiant des parades plus rapidement » décrit Vincent Lefieux, en charge de la stratégie IA pour RTE. Ces outils n’existent pas encore, mais RTE espère les déployer en France d’ici quelques années.
Au final, tous ces outils servent à rendre possible la transition énergétique 💡
Et « sans l’IA, ce travail ne serait pas impossible, mais beaucoup plus compliqué » reconnaît Vincent Lefieux.
L’intelligence artificielle est aussi utilisée pour optimiser les énergies renouvelables, par exemple en déterminant le meilleur endroit où installer les turbines dans les parcs éoliens ou en détectant les défauts des panneaux solaires sur les toits.
« Il existe des outils qui intègrent des données comme le taux d’humidité du sol ou sa teneur en biomasse*, et ensuite produisent des modèles de croissance des plantes qui permettent de réduire l’arrosage, l’apport en produits phytosanitaires ou en engrais » explique Éric Moulines, professeur à Polytechnique et co-auteur d’un rapport sur l’IA dans la transition écologique.
Par exemple : des machines agricoles, équipées de caméras entraînées à reconnaître les mauvaises herbes dans un champ, qui permettent de réduire l’utilisation de pesticide en pulvérisant uniquement les mauvaises herbes.
Cette « agriculture de précision » (precision farming) permettrait de faire une vraie diff → en moyenne une réduction de 25% de pesticides et de 20-25% de la consommation d’eau dans les différents cas pratiques étudiés par un groupe de scientifiques suisses et américains en 2019.
Mais évidemment, faut pas crier wouhou trop vite 😌 Les scientifiques soulignent que chaque cas étudié avait été expérimenté dans des conditions spécifiques, et que du coup c’est très difficile de tirer des conclusions générales. Eric Moulines est plutôt d’accord avec ça : « Les études montrent que faire appel à des outils utilisant l’IA permettent de réduire les intrants, mais il manque une expérimentation à grande échelle pour savoir si c’est vraiment intéressant. »
L’intelligence artificielle peut aussi aider les politiques à anticiper au mieux les catastrophes naturelles présentes et futures (qui vont devenir plus fréquentes et intenses avec le changement climatique) : inondations, montée des eaux, feux de forêt…
Le projet Digital Twin of Planet Earth s’appuie par exemple sur l’IA pour créer une « jumelle numérique » de la planète Terre et faire des simulations : en cas d’inondation à tel endroit, quelle action serait la plus efficace pour secourir les populations, etc.
Quand on crée une IA, on l’entraîne en utilisant d'énormes quantités de données, il y a des milliards de paramètres à ajuster en même temps… et cet entraînement consomme beaucoup d’énergie.
On peut le voir avec ChatGPT par exemple → selon Heliowatt, une plateforme de conseil en énergie, « l'université de Californie a fait les calculs et estime que l'entraînement seul de l'IA pour GPT-3 a consommé 1287 MWh, ce qui a émis 552 tonnes de CO2 ».
L'une des caractéristiques des IA c’est qu'elles sont capables d'apprendre à partir d’un tas de données, c'est ce qu'on appelle l'apprentissage automatique. En gros, l’idée c’est que les algorithmes imitent la manière dont les êtres humains apprennent.
« L'apprentissage d'un seul modèle d'IA peut émettre un volume de carbone équivalent aux émissions combinées de cinq voitures sur toute leur durée de vie » d'après une étude de l'université du Massachusetts parue en 2019.
Eric Moulines explique qu’à la base, la plupart des modèles d’IA avaient un coût énergétique lié surtout à cet apprentissage : « C’était coûteux, mais une fois que c’était fait, le reste du fonctionnement de l’IA ne consommait pas grand chose. » Selon lui, pour l’IA générative (comme Chatgpt), c’est l’apprentissage ET l’utilisation du modèle, qui « coûtent cher énergétiquement ».
Peter Henderson, chercheur en informatique à Stanford a ajouté lors d’une conférence qu'une grande partie de l'impact environnemental de l'IA provient de la fabrication des puces électroniques, qui permettent justemment de traiter de grandes quantités de données.
En plus de consommer beaucoup d’énergie, les datas centers ont besoin aussi d’eau en énorme quantité pour être refroidis.
Du coup, il y a quand même une prise de conscience dans le monde scientifique et des solutions naissent pour que les algos qui font fonctionner l’IA arrêtent de polluer autant.
C’est plutôt bon signe de se dire que ces problèmes sont en train de se régler ! Même si ça risque de prendre du temps. Reste un souci qu’il faut encore maîtriser : c’est l’effet rebond.
Si on en revient à notre sujet : dans une situation où l’IA permet de consommer moins d’énergie, et bah à cause de l’effet rebond, ça ne veut pas dire qu’on en consommera moins pour autant. Au contraire, on en consommera autant voir plus.
Comme on l’a expliqué au-dessus, l'IA permet des gains dans la lutte contre le réchauffement climatique, mais elle engendre quand même pas mal de pollution. Arbitrer entre s’il faut plus d’IA ou pas → « C’est une question de politique publique » affirme Hugues Ferreboeuf.
En vrai, la Commission européenne a commencé à se positionner sur le sujet dès avril 2021 en publiant une proposition de loi sur l’intelligence artificielle. Elle a ensuite publié en décembre 2022, un texte qui permet de poser les bases de la réglementation et de l’utilisation de l’IA pour toutes les organisations qui l’utilisent.
Le Parlement européen a finalement adopté le 14 juin 2023 sa position sous le nom de l'« Artificial Intelligence Act ».
Sur le plan environnemental, elle confirme que l’IA peut servir à :
En réalité, ce rapport montre que l'Europe veut surtout réguler l’IA générative, qui l'inquiète particulièrement, parce qu’elle permet par exemple la reconnaissance d’images et de la parole. Comme c’est le cas pour Chat GPT.
Des grosses entreprises du secteur ont adressé une lettre ouverte en faveur d’une « pause dans les expériences géantes d’IA » publiée récemment en réponse à la publication de ChatGPT et GPT-4 par OpenAI.
Formuler des règles du jeu, ça peut servir, en France par exemple, car l’État veut se positionner un peu comme un leader dans le secteur à l’horizon 2030, en attirant plein d’entreprises du secteur dans le pays.
Décarboner : Faire en sorte que qqch n’émette plus de CO2 en fonctionnant.
Data center : Lieu physique qui regroupe de l’équipement informatique (comme des serveurs).
Efficacité énergétique : C’est le rapport entre la quantité d'énergie produite et l'énergie consommée.
Waze : Application qui surveille le trafic routier en temps réel et conseille le meilleur itinéraire (pour éviter des bouchons par exemple).
Biomasse : Masse de matières vivante (animaux, végétaux, bactéries, champignons…).
Interview d’Hugues Ferreboeuf, chef de projet numérique chez The Shift Project
Interview d’Eric Moulines, professeur à Polytechnique
Interview de Vincent Lefieux, en charge de la stratégie IA pour RTE
Interview de Charlotte Degot, fondatrice et CEO de CO2 AI
UNEP - Global Environment Monitoring
CNIL - Intelligence artificielle, de quoi parle-t-on ?
CNIL - Intelligence artificielle : le plan d’action de la CNIL
CNIL - Apprentissage profond (deep learning)
PwC - How AI can enable a sustainable future
BCG - Reduce carbon and costs with the power of AI
Annual Review of Resource Economics - Precision Farming at the Nexus of Agricultural Production and the Environment
Nature - Nonlinear sensitivity of glacier mass balance to future climate change unveiled by deep learning
European Space Agency - Working towards a Digital Twin of Earth
Parlement européen - The role of Artificial Intelligence in the European Green Deal
Hello Watt - Chat GPT : quelle est l’empreinte carbone de l’IA ?
University du Massachusetts Amherst - Energy and Policy Considerations for Deep Learning in NLP
Science - Recalibrating global data center energy-use estimates
Shift Project - Intelligence Artificielle, Numérique et Environnement
Microsoft - Projet Natick
Commission européenne - Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil établissant des règles harmonisées concernant l’intelligence artificielle (législation sur l’intelligence artificielle) et modifiant certains actes législatifs de l’Union
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