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Et si le futur du transport maritime était… les bateaux à voile ?
Esther Meunier&
Pauline Vallée
Esther Meunier&
Pauline Vallée
Aujourd’hui, ce sont des milliers de navires qui sillonnent chaque jour les océans (et si tu nous crois pas, regarde cette carte complètement folle qui montre le trafic maritime en temps réel). Le transport par bateau représente 80% du commerce mondial (en volume), avec 11 milliards de tonnes de marchandises transportées en 2021 (!!!).
Et en même temps, ce secteur représente 3% des émissions mondiales de gaz à effet de serre → il participe au changement climatique.
Une idée comme ça : Et si on remplaçait ces bateaux qui polluent par les bons vieux bateaux à voile pour transporter les gens et marchandises ? Ça tiendrait la route… ou c’est impossible ?
On l’a dit juste au-dessus : le trafic maritime représente aujourd’hui 3% des émissions de gaz à effet de serre. C’est comparable à la pollution générée par les avions, et surtout, c’est un chiffre qui est en hausse. Il se développe tellement qu’il pourrait représenter, en 2050, jusqu’à 17% des émissions mondiales.
Pas étonnant pour un secteur « qui dépend à 99% des énergies fossiles » détaille Fanny Pointet, responsable du transport maritime chez Transport et Environnement France. Les bateaux utilisent des carburants comme le diesel mais aussi et principalement du fioul lourd → « Ce sont les résidus qui restent du pétrole quand on a fini de le raffiner, c’est un carburant très sale, qui ne coûte pas cher mais qui va davantage polluer. »
Ça participe au réchauffement climatique, mais ça a aussi un impact sur ta santé : la combustion des carburants émet des polluants atmosphériques (des éléments volatiles comme des particules fines, des oxydes d’azote et des oxydes de soufre) qui favorisent l’apparition / aggravent des maladies (respiratoires en particulier), et augmentent la mortalité.
Tu pensais que c’était tout ? Tututut, le transport maritime actuel a aussi plein d’impacts sur les écosystèmes marins. Échantillon :
Y a 3 options :
Le 1er cas est évidemment le mieux (point de vue écologie) mais un peu compliqué à mettre en place → « La question de l'intermittence* du vent ça fait dire qu’un moteur peut rester utile » explique Lise Detrimont, déléguée générale de l'association Wind Ship. Mais ça ne veut pas dire que c’est impossible !
Le 2e cas permettrait d’économiser jusqu’à 80% du carburant (et donc des émissions de gaz à effet de serre associées), et le 3e cas jusqu’à 20-30% du carburant.
En France, quelques entreprises transportent déjà des marchandises grâce à des cargos à voile. C’est le cas par exemple de Towt ou de Grain de sail.
Créée en 2010, Grain de Sail vend et transporte aujourd’hui du chocolat, du café et du vin (bio) à travers le monde 🍫☕🍷 Chaque année, leur voilier fait 2 boucles dans l’océan Atlantique pour transporter les marchandises d’un pays à l’autre (le vin depuis la France jusqu’à New York, le chocolat d’Amérique latine jusqu’en France…). Une boucle dure environ 3 mois et transporte jusqu’à 50 tonnes de marchandises.
Selon leurs chiffres, ce choix permet d’économiser 90% à 97% de CO2 par rapport à la moyenne d’un cargo conventionnel.
De son côté, TOWT transporte 18 000 tonnes de marchandises par an entre l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, l’Afrique et l’Asie avec son voilier-cargo. L’entreprise a même développé son propre label Anemos → le premier label qui garantit que les produits ont été transportés sur un bateau à voile.
C’est ce que fait par exemple la coopérative Sailcoop, qui assure 1 aller-retour par jour entre la Corse et le continent, grâce à ses deux voiliers.
Sur le bateau, le couchage et les 3 repas (bio et végétariens) sont inclus, l’équipage s’occupe des manœuvres, et « 80% des gens ont vu des dauphins » assure Maxime de Rostolan, fondateur de Sailcoop 🐬
Prix de la traversée : entre 216 et 240 euros. « On est un peu plus cher, reconnaît Maxime de Rostolan, mais quand on compare avec le prix d’une couchette dans un ferry en haute saison, sachant qu’on y mange des trucs pas bons et chers… Et surtout, c’est pas la même expérience, donc pas forcément pertinent de comparer. »
« L’année dernière, on a émis 95% de CO2 en moins par rapport aux ferries. »
C’est bien joli tous ces plans sur la comète, mais on pourrait vraiment transporter toutes les marchandises du monde à la voile ?
Techniquement, le transport à la voile c’est faisable, tu l’as vu plus haut. Mais surtout, économiquement, ça va devenir de plus en plus intéressant 💰💰💰
« Chez Grain de Sail, quand on s’est lancé, on a décidé de transporter nos propres marchandises, notre marque, parce qu’on se disait qu’aucune autre entreprise ne voudrait augmenter ses coûts de transport et nous payer pour ça » explique Stefan Gallard, directeur marketing de Grain de Sail. Et c’est vrai que le transport à la voile coûte plus cher.
Mais en réalité ça va devenir de plus en plus rentable :
Au final, le transport à la voile restera cher, mais plus « aussi cher » par rapport au transport aux énergies fossiles dont les coûts vont augmenter ! En fait, c’est le coût du transport maritime en général qui va augmenter dans les années à venir selon Lise Detrimont, déléguée générale de l'association Wind Ship ↓
« Beaucoup d’expert·es nous disent que le coût du transport maritime va augmenter de 30 à 50% au moins. »
ll y a donc un vrai marché pour développer le transport à la voile : d’ici 2050, le Clean Maritime Plan du Royaume-Uni prévoit que 37 000 à 40 000 navires pourraient être équipés de voiles en complément de leurs moteurs !
Il y a quand même plusieurs freins qui font que le transport maritime ne se fera pas à 100% à la voile.
D’abord, un bémol sur le développement économique de la filière vélique* : pour qu'elle se développe rapidement, le soutien des pouvoirs publics serait important parce que faire de la recherche, fabriquer des prototypes et installer une production industrielle, ça coûte très cher.
Ensuite, il y a des zones où il y a du vent stable et où c’est facile, comme l’Atlantique, le Pacifique ou la Polynésie : « Là on peut avoir du transport à la voile quasi à 100% » d’après Lise Detrimont. Mais il y en a aussi où le vent est beaucoup plus fluctuant : en Asie, ça se complique, et pour la mer Méditerranée c’est très variable il peut y avoir des semaines sans vent et d’autres où il y en a trop 😮💨
Et puis en termes de volumes, aujourd’hui les porte-conteneurs qui fonctionnent aux énergies fossiles peuvent transporter jusqu’à 20 000 conteneurs : les bateaux à voile sont beaucoup plus petits pour l’instant !
« C’est pour ça que chez Grain de sail on défend le transporter moins d’abord et transporter mieux ensuite : il faut aussi revoir à la baisse notre consommation, relocaliser ce qui est possible, et réserver le transport maritime aux choses pour lesquelles on a pas le choix. »
Stefan, Grain de Sail
Pour finir, côté transports de passagers, il y a aussi la question de l’acceptabilité : Est-ce tu serais OK pour que ton trajet vers la Corse comme le fait Sailcoop soit décalé selon les conditions météo ? Est-ce que tu accepterais de perdre quelques minutes sur un trajet que tu fais matin et soir quand tu vis sur une île ? C’est pas toujours facile d’après Lise Detrimont, qui a échangé avec des collectivités qui réfléchissent au sujet.
Mais pour Maxime de Rostolan, « dans 25 ans, il n’y aura plus de sujet, je sais pas comment feront les gens quand il fera 55°C mais il faudra s’adapter dans un sens ou dans l’autre de toute façon » 😬
Filière vélique : Filière économique du transport à la voile.
Intermittence : Quelque chose d’irrégulier, qui n’est pas 100% fiable.
Interview de Fanny Pointet, responsable du transport maritime chez Transport et Environnement France
Interview de Lise Detrimont, déléguée générale de l'association Wind Ship
Interview de Maxime de Rostolan, fondateur de Sailcoop
Interview de Stefan Gallard, directeur marketing de Grain de Sail
Ministère de la transition écologique - Développement d’une filière de transport maritime à la voile
Windship - La filière française des navires propulsés par le vent est prête à fournir un tiers du marché mondial
Nations Unies - Review of marine transport (2022)
Commission Européenne - Emissions-free sailing is full steam ahead for ocean-going shipping
Agence Internationale de l’Énergie - Aviation
Santé Publique France - Air et santé : risques pour la santé
Transport & Environnement - Air pollution
Nature - Cleaner fuels for ships provide public health benefits with climate tradeoffs
Site de Towt
Site de Sailcoop
Site de Grain de sail
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