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Écologie : donner le bon exemple, c’est vraiment efficace ?
Esther Meunier
🤝 En partenariat avec l'ADEME
Esther Meunier
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« Plutôt que de dire aux gens ce qu’ils doivent faire, j’explique pourquoi moi, je fais telle ou telle chose. »
Elle expliquait qu’elle avait souvent l’impression de froisser les gens en parlant écologie, et donc que quelque part, elle préférait donner le bon exemple pour influencer les autres plutôt que leur faire la morale.
Mais « juste » donner le bon exemple, ça suffit pour faire changer les choses ?
Dans cet article, on va plutôt parler de faire changer les comportements des gens qui t’entourent, et pas forcément de faire changer les choses à grande échelle. Mais avant d’aller plus loin, un petit truc à savoir sur le sujet…
Sauf que l’empreinte carbone individuelle, c’est de 80% qu’il faudrait la réduire… Pour y arriver, il faut donc à la fois changer les comportements individuels ET mettre en place de vraies politiques publiques sur le sujet.
« Il ne faut pas mettre tout le poids de la transition écologique sur les individus : les habitudes sont conditionnées par le contexte, la réglementation, l’aménagement urbain, la publicité… Mais à une échelle plus privée on va quand même pouvoir avoir un impact en donnant l’exemple » explique Anaïs Rocci, sociologue à la direction exécutive prospective et recherche de l’ADEME.
Pour bien comprendre de quoi on parle quand on parle d’influencer le comportement des autres → la notion de norme sociale est très importante.
« La norme sociale, c’est comment on se représente le comportement des autres, à l’échelle d’un pays, d’un voisinage… » explique Mathilde Mus, doctorante en sciences cognitives et comportementales spécialisée en psychologie environnementale.
À partir de là, on peut identifier 3 choses qui permettent de comprendre comment donner l’exemple peut vraiment avoir de l’impact ☝️
Une partie de ce qui joue dans le fait d’adopter de nouvelles habitudes, c’est comment on perçoit les autres.
« Par exemple sur le végétarisme, je ne vais pas faire l’effort de devenir végétarien·ne si personne autour de moi ne le fait, parce que je vais trouver ça injuste d’être le ou la seule à faire cet effort » : donner l’exemple, c’est donc diminuer le sentiment d’injustice ou d’isolement que nos proches pourraient ressentir d’après Mathilde Mus.
Concrètement, ça fonctionne. Des études ont montré que si on envoie un mot pour dire combien les gens consomment d’électricité en moyenne (= rendre la norme sociale visible), ça incite ceux qui consomment plus à faire plus attention à leur consommation !
Ça marche particulièrement bien sur tes proches : ta famille, ton groupe d’ami·es, toutes personnes qui te ressemble et peut se retrouver dans ton mode de vie (lieu de vie, revenus, parcours scolaire ou travail…).
Parce que les gens peuvent s’identifier et se rendre compte que si toi tu le fais, pourquoi pas eux ?
L’idée, c’est que plus les gens peuvent se reconnaître en toi, plus le fait que tu adoptes de nouvelles habitudes va leur permettre de se rendre compte qu’en fait, c’est pas si dur que ça 💁♀️
Sans compter que ça aide à se tenir à ses nouvelles habitudes, comme le raconte Jeanne, devenue végétarienne à 15/16 ans :
« Le fait que mon cousin, de quelques années mon aîné, soit devenu végétarien a fait naître l'idée en moi que c'était possible. Et ensuite j'ai tenu le cap parce qu'une amie avait fait un cheminement similaire en parallèle, donc j'étais pas seule. Ça a rendu la tâche plus simple je pense. »
« On est une espèce sociale, donc on se préoccupe de ce que les gens pensent et font ! » explique Mathilde Mus → si plusieurs personnes dans ton entourage ont adopté des habitudes écolo considérées comme « positives », ça rentre en compte.
Attention : ça veut pas dire que c’est forcément cynique, et qu’on adopte des nouvelles habitudes juste pour bien paraître aux yeux des autres. Mais en tous cas, ça joue inconsciemment.
Souvent, quand on comprend qu’un comportement est « mal » perçu, ça nous incite à le changer. C’est particulièrement vrai pour les jeunes d’après Anaïs Rocci : « Dans un baromètre de l’ADEME, on demandait “Si je changeais ma façon de consommer (régime végétarien, produits biologiques, moins de vêtements, etc.), j'aurais peur d'être exclu d'un groupe (amis, famille, ...)”, et on a quand même 45% des 18-24 ans qui se reconnaissaient dans cette affirmation là contre 21% dans la population générale. »
Cette étude de l’ADEME montre les freins qui peuvent exister à l’adoption de nouvelles habitudes. Mais cette pression sociale peut aussi jouer dans l’autre sens !
C’est d’ailleurs de ce sentiment que viennent les mots « flygstam » et « tågskryt » en suédois, qui décrivent respectivement la honte de prendre l’avion (qui pollue beaucoup) et la fierté de prendre le train (qui est meilleur pour la planète) 👁️👄👁️
Pour résumer, pour que donner l’exemple fonctionne il faut au minimum :
Par exemple, Olga a témoigné avoir vu beaucoup de ses collègues se mettre au vélo parce qu’un petit groupe le faisait : « Ça leur permettait de se partager les meilleurs trajets, les pistes sécurisées, etc. »
Certains gestes sont plus ou moins faciles à adopter. Par exemple, Anaïs Rocci explique que dans le baromètre « Les représentations sociales du changement climatique », qui demande aux gens s’ils changeraient certaines de leurs habitudes, celles liées aux transports sont les plus compliquées à faire évoluer :
« Ce sont les pratiques les plus difficiles à mettre en place parce qu’elles sont très dépendantes de l’aménagement du territoire et de l’offre de transport. On en revient à ce que je disais au début : donner l’exemple c’est bien, mais pour faciliter l’adoption de ces bonnes habitudes il faut aussi des politiques publiques volontaristes. »
Globalement, c’est plus difficile de faire évoluer ce qui touche à ton identité → arrêter de prendre l’avion par exemple peut se heurter à d’autres de tes valeurs comme vouloir découvrir d’autres cultures ou le besoin de voir tes proches potentiellement éloignés.
D’autres critères peuvent faciliter le fait d’influencer positivement son entourage comme le dit Mathilde Mus : « Si on est face à une personne en dissonance cognitive* par exemple, qui n’a pas changé ses habitudes par confort alors qu’elle sait pertinemment que ce serait bien, on aura probablement plus d’impact. » 👀
Il y a aussi plus ou moins de possibilités de valoriser ces changements d’habitudes selon le milieu social : par exemple, arrêter de prendre l’avion pour des gens qui ont les moyens financiers de le prendre régulièrement, ça peut facilement se valoriser socialement aux yeux des autres. Alors que pour celles et ceux qui, de toute façon, ne peuvent pas se le permettre à cause de leur budget, c’est une contrainte plus qu’un choix qui pourrait être valorisé.
Une dernière chose : donner l’exemple et en profiter pour faire de la sensibilisation, ça peut être à double tranchant.
Quand on reçoit une info, on la filtre avec nos valeurs et croyances → si cette info entre en contraction avec elles, on va peut-être n’en retenir qu’une partie qui s’accorde avec nos idées, ou la laisser tomber → c’est ce qu’on appelle le biais de confirmation. « La sensibilisation peut avoir un effet polarisant, en radicalisant les gens sur leurs positions. C’est pour ça que si on veut en faire, il faut vraiment le faire avec précaution selon le public qu’on a en face » explique Mathilde Mus.
Anaïs Rocci ajoute :
« Changer de comportement, c’est un processus long et complexe qui nécessite de passer par différentes phases, de la prise de conscience, de réflexion pour se faire à l’idée du changement, puis un temps pour essayer des choses, pour réorganiser son quotidien et au final aboutir à des changements d’habitude. »
Donner l’exemple, c’est donc une des manières d’influencer ce processus chez les autres… mais aucune garantie que ça fonctionne à chaque fois !
Dissonance cognitive : En psychologie sociale, tension ressentie par une personne lorsque des informations, opinions, croyances, et comportements qui sont les sien·nes sont contradictoires.
Interview de Mathilde Mus, doctorante en sciences cognitives et comportementales spécialisée en psychologie environnementale
Interview d’Anaïs Rocci, sociologue à la direction exécutive prospective et recherche de l’ADEME
France Info - Crise climatique : "Plutôt que de dire aux gens ce qu’ils doivent faire, j’explique pourquoi, moi, je le fais", lance Billie Eilish
Carbone 4 - Faire sa part
Psychological Science - The constructive, destructive, and reconstructive power of social norms (Schultz PW, Nolan JM, Cialdini RB, Goldstein NJ, Griskevicius V.)
Greenflex - Baromètre GreenFlex-ADEME de la consommation responsable 2023
ADEME - Baromètre les représentations sociales du changement climatique 2022
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