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Comment convaincre ton voisin de ne pas (ou de moins) tondre sa pelouse
Esther Meunier
Esther Meunier
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C’est le printemps, la végétation reprend vie… et la pelouse aussi. Et avec elle, les tondeuses ! Si tu vis dans un quartier avec des jardins, t’as probablement commencé à les entendre tourner le week-end (et merci Jean-Patrick-Jardinier de la passer à l’heure de la sieste).
Pour lui, c’est inévitable : « une pelouse bien tondue, ça fait plus beau, plus ✨propre✨ ».
OK Jean-Patrick, mais une pelouse bien tondue, ça a surtout un paquet d’inconvénients écologiques. Alors voilà nos meilleurs arguments pour le convaincre de remiser sa tondeuse dans le cabanon du fond du jardin.
Il est donc 15h et tu entends la tondeuse de Jean-Patrick-Jardinier démarrer. Tu vas le voir pour au minimum lui demander de faire ça à un autre moment. Sa rep : « Faut bien le faire de toute façon, alors maintenant ou plus tard… »
Eh ben tu peux lui rétorquer : « Non Jean-Patrick, il n’y a pas forcément besoin de tondre ! » Et oui c’est aussi bête que ça 🙃
C’est Eric Lenoir, auteur du Petit traité du jardin punk, qui le dit : « La tonte n’est pas une obligation : l’usage ne le nécessite pas forcément, l’esthétique pas forcément non plus. »
« La notion de “belle pelouse” nous a été rentrée dans le crâne à coup de marketing. Ce n’est pas naturel, ça ne vient pas d’une longue tradition, c’est très récent et c’est lié à la publicité pour vendre des tondeuses et produits d’entretien. »
Alors Jean-Pat, vraiment envie de continuer à se faire avoir pour rien ? Surtout que ne pas tondre a plein d’autres avantages.
T’es chaud, ne t’arrête pas là : la chute dramatique de la biodiversité pose de nombreux problèmes. Et tondre… c’est y contribuer 🤷♀️
« Une pelouse bien tondue et entretenue, d’un point de vue biodiversité, c’est à peu près l’équivalent du béton » explique Mathieu Deflores.
Lorsqu’il fait des sorties avec du public pour sensibiliser, il fait souvent une expérience : passer un filet fauchoir (un filet qui permet d’attraper tous les insectes sur son passage) dans 2 zones différentes. « À seulement 20 cm d’écart, entre une pelouse bien tondue et une zone laissée plus libre, il y a des différences énormes » explique-t-il.
Laisser ces plantes pousser, c’est aussi fournir des fleurs et du pollen aux pollinisateurs* : les abeilles domestiques ne représentent qu’une espèce en France, alors que 1000 espèces d’abeilles sauvages aimeraient aussi butiner dans les jardins ! En plus, si Jean-Pat’ se chauffe, il peut même participer à des programmes de sciences participatives, comme SpiPoll qui permet justement d’étudier les pollinisateurs !
Et au-delà des insectes, de très nombreux petits vertébrés et oiseaux s’épanouissent beaucoup mieux dans les hautes herbes (on est pas dans Pokémon, mais ça marche pareil !). « Les chardonnerets, rousserolles, bruants, perdrix, faisans, busards, mais aussi les salamandres, grenouilles, lézards, serpents… tout ça est mis en danger par la tonte » explique Eric Lenoir.
Il y a un effet indirect parce que les espaces tondus ne peuvent plus leur servir d’habitat, et aussi un effet direct avec les tondeuses qui leur passent dessus. « Les crapauds communs, les bébés hérissons se font parfois hacher par des tondeuses, surtout par les robots tondeuses qui ne sont pas capables de voir ça et de s’arrêter contrairement à un humain. » 😨
Là, Jean-Patrick-Jardinier te dit que justement, des insectes il en veut pas trop parce que merci bien mais les pucerons qui sucent la sève des rosiers et les bestioles qui grignotent les feuilles de salade de son potager, ça suffit.
Mais en fait, favoriser la biodiversité dans son jardin contribue à le protéger, comme l’explique Mathieu Deflores :
« Pour un puceron, les conditions idéales c’est une source de nourriture et pas de prédateurs. Un rosier au milieu d’une pelouse rase, c’est pile poil ce qu’il aime, ça lui fait de la nourriture et il n’y a aucun espace pour accueillir des larves de coccinelles par exemple ! »
Le mieux, c’est donc de favoriser la diversité des milieux au sein même de son jardin. « Plus on va avoir des micro-habitats, des milieux variés avec petits espaces tondus, zones non tondues, du bois mort, un arbre mort sur pied, des petites zones de terre, de sable, des zones humides… plus ça permettra d’accueillir tous les prédateurs potentiels des insectes parasites. »
Tu sens que Jean-Pat commence à fléchir ? Ne lâche rien ! Tu peux lui démontrer qu’en plus, son joli gazon vert ne le restera pas bien longtemps 😬
Eh oui, une pelouse tondue pour qu’elle reste bien verte, c’est aussi très gourmand en eau ! Sauf qu’avec le changement climatique, les sécheresses vont se multiplier et les restrictions d’eau aussi. Ne pas tondre trop ras ou ne pas tondre tout court va permettre de préserver l’humidité du sol, et aussi de mieux stocker le carbone !
Bonus : ça permet de lutter contre la chaleur. Pour Eric Lenoir, « même si une pelouse c’est moins pire que du béton, on peut avoir 4 à 7 degrés de différence avec une prairie, selon la hauteur de celle-ci, l’exposition, etc ».
Jean-Patoche commence sérieusement à regarder de travers sa tondeuse bien-aimée. C’est le moment de faire appel à son côté radin : la tondeuse a un coût ! À l’achat et à l’entretien, déjà (et quand on tond moins on peut encore plus se permettre de partager la sienne avec les voisin·es).
Mais aussi au niveau énergétique : « On s’en rend mieux compte quand on a une tondeuse à essence parce qu’il faut remplir le jerrican, mais l’électricité qui sert à alimenter les tondeuses électriques n’est pas gratuite non plus ! » rappelle Eric Lenoir 💸💸💸
En plus, cette énergie a aussi un impact écolo : l’essence émet directement des gaz à effet de serre, et l’électricité n’est pas toujours produite avec des énergies renouvelables. La sobriété, c’est aussi laisser son jardin tranquille (encore un truc qui montre que tondre, c’est pas adapté face au changement climatique).
Jeannot est convaincu, beau travail 🙌 Mais concrètement, comment va-t-il faire pour entretenir son jardin ? Eric Lenoir a plein de trucs à lui conseiller :
Sur quels autres sujets tu voudrais qu’on te donne des arguments ?
Insecte pollinisateur : Désigne les insectes, en particulier les abeilles, bourdons ou papillons, qui en butinant les fleurs pour se nourrir vont transporter du pollen d'une fleur à une autre, ce qui va leur permettre de se reproduire.
Interview d’Eric Lenoir, auteur du Petit et du Grand traité du jardin punk
Interview de Mathieu Deflores, chargé de mission science participative et entomologiste à l’OPIE
Radio France - L’histoire du gazon, symptôme de nos contradictions face à la nature
Consoglobe - Canicule et gazon : la tonte différenciée, manière de tondre idéale en été
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