Est-ce que Shein pollue ?

Shein, la marque mode préférée des adolescents, rencontre un succès mondial. Mais qu'en est-il des conséquences environnementales et sanitaires de son modèle de production ?

Shein a été désignée comme la marque de mode la plus populaire de 2022, selon une étude menée par le site anglais money.co.uk. La marque chinoise arrive en tête des recherches Google chez une écrasante majorité (113 sur 196) des pays étudiés du panel (dont la France). Loin devant Zara et Zalando. Mais qu'en est-il de son impact environnemental ?

Fondé en 2008, le groupe Shein est devenu, en une quinzaine d’années, le site de mode le plus consulté au monde. Son chiffre d’affaires de 2021 a été estimé à 16 milliards de dollars par Bloomberg, et la valeur de l’entreprise pourrait monter jusqu’à 100 milliards de dollars, soit plus que les valeurs combinées de Zara et H&M.

Si la marque chinoise reste mystérieuse dans sa communication, voici ce que l’on sait sur son fonctionnement :

  • Elle travaille avec un réseau de fournisseurs, principalement basés à Guangzhou, dans le sud-est de la Chine.
  • Elle met en ligne 6 000 nouveaux vêtements chaque jour sur son site ! (On en reparle juste après).
  • Le coût moyen d’un vêtement sur son site est de 7 euros selon le journal Le Monde.

Quel est l’impact de Shein sur l’environnement ?

Shein s'inscrit dans le modèle de la "fast-fashion", voire de "ultra-fast-fashion". 6000 modèles sont ajoutés chaque jour en moyenne dans son catalogue en ligne. Sachant que la fabrication d'un seul vêtement nécessite beaucoup d’eau, du pétrole (dans le cas des fibres synthétiques), l'utilisation de polluants chimiques contenus dans les teintures… Son modèle de production intensif a nécessairement un impact délétère sur l'environnement. 

Comment la marque arrive-t-elle à assurer un tel rythme de production ?

Les vêtements achetés sur Shein représenteraient 12% des émissions de CO2 des adolescents français (dont 22% des émissions des adolescentes), selon une étude publiée par le Teenage Lab de Pixpay.

Shein fait le choix de produire en petite quantité plusieurs modèles différents, plutôt que de produire en masse quelques modèles. Là où une entreprise classique travaille avec quelques usines à qui elle commande de gros volumes de vêtements, la marque chinoise passe par un réseau d'ateliers à qui elle commande de "petits" volumes (quelques centaines de pièces). Ce système permet de produire beaucoup plus vite : 10 personnes travaillant en parallèle sur 1 projet vont plus vite qu’une seule personne. Mais travailler avec autant d’usines différentes complexifie le suivi qualité, ainsi que le contrôle de leur impact environnemental, etc…

"La marque vole énormément d’idées à des petits créateurs", souligne Marie Nguyen, cofondatrice de la marketplace de mode éthique We Dress Fair. Shein surveille également beaucoup les tendances en ligne. Une fois sur son site, les modèles les plus populaires sont réédités, les moins appréciés sont abandonnés… et c’est reparti pour un tour. Il n’y a pas de boutique physique, tout se passe en ligne. Elle économise du temps et de l’argent, car pas besoin de gérer des stocks en magasin, de payer des vendeurs…

Pourquoi Shein pollue ?

Chaque vêtement pollue à l'étape de sa fabrication. Plus une entreprise produit de vêtements en grande quantité, plus elle consomme des ressources naturelles et génère une pollution importante. Ajoutons à cela que pour s’assurer de toujours proposer de nouveaux modèles, Shein les fait fabriquer très vite, dans des conditions qui ne permettent pas de garantir que l’environnement soit une priorité. Ces vêtements durent aussi moins longtemps, et sont moins susceptibles d’être réparés.

Un modèle reste peu de temps en ligne sur le site, "moins de 10 jours en moyenne" estime Marie Nguyen… avant d’être remplacé par un nouveau modèle. Tout cela génère un énorme gaspillage.

Des vêtements qui abîment la santé de ceux qui les portent et de ceux qui les fabriquent

Beaucoup des vêtements vendus par Shein sont à base de matières synthétiques "ultra pétrolées" rappelle Marie Nguyen.

Ce n’est pas tout. La branche allemande de Greenpeace a mené une petite expérience : elle a rassemblé 47 vêtements commandés sur les sites web de Shein en Suisse, Autriche, Allemagne, Italie et Espagne ou achetés dans un pop-up store à Munich, et les a envoyés pour analyse dans un laboratoire indépendant. Sur ce pannel de 47 produits, 7 contenaient des substances chimiques dangereuses dans des proportions qui dépassent les limites autorisées par la réglementation européenne REACH.

6 d’entre eux étaient des chaussures, et 1 une robe pour petite fille. Les chaussures contenaient notamment des phtalates (des perturbateurs endocriniens, pour beaucoup classés comme "substances toxiques pour la reproduction"). La robe contenait du formaldéhyde (qui peut provoquer des irritations des yeux ou du système respiratoire, et même des cancers pour les travailleurs qui y sont exposés).

Autres chiffres préoccupants sur l’utilisation de substances nocives par l’entreprise : 15 produits (32% du panel) contenaient des substances nocives à des niveaux "préoccupants" selon Greenpeace. 45 des 47 pièces testées contenaient au moins un produit chimique dangereux (même si dans beaucoup de cas les quantités étaient à des niveaux plus bas). La présence de ces produits chimiques dans les vêtements peut être nocive pour la santé de ceux qui les portent, mais aussi pour les travailleurs qui sont en contact avec tous ces produits. Sans compter l’impact sur l’environnement et les communautés locales, car selon Greenpeace "il est probable que les fournisseurs utilisant ces produits en relâchent dans les eaux et dans l’air".

Découvrir le reportage : Recycler tes vêtements pour sauver la planète ?

Une stratégie marketing efficace

Malgré tous ces problèmes, comment la marque fait-elle pour être si populaire ?

Shein travaille en partenariat avec de nombreux influenceurs, à qui elle offre des produits en échange de promotion. Résultat : la génération Z est bombardée de messages favorables à Shein sur TikTok et YouTube. Le hashtag #SHEINhaul atteignait fin 2023 14 milliards de vues sur TikTok.

Shein organise également le Shein Together Fest, pour collecter des fonds pour l’Organisation mondiale de la Santé : une manière de redorer son image.

La marque use et abuse de techniques marketing qui manipulent les consommateurs, en particulier les jeunes, souligne Marie Nguyen. Comme par exemple :

  • La disponibilité limitée des produits dans le temps, avec une horloge pour le rappeler
  • Des notifications pour souligner que les stocks sont limités
  • La livraison gratuite à partir d’un certain montant d’achat

Tout cela incite à l’achat impulsif.

Face à Shein : y a-t-il des solutions ?

Difficile de contraindre Shein à respecter un socle minimum de normes. Pour les normes européennes concernant les produits chimiques, il faudrait mieux contrôler leurs produits, mais leur présence sur le marché est si courte que le temps que les analyses soient faites, le produit n’est plus vendu explique Marie Nguyen.

Plusieurs bons réflexes à l'échelle individuelle :

  • Rester conscient des techniques marketing utilisées par la marque, qui fait tout pour pousser à l'achat.
  • Changer notre manière de voir les choses : non, nous n'avons pas besoin de "toujours plus" de vêtements. Il faut "se détacher de l’idée que bonheur égale consommation", conseille Marie Nguyen.
  • Si on possède déjà des vêtements Shein, l'idéal est de prolonger au maximum leur durée de vie. Cela passe par en prendre soin, mais aussi les donner plutôt que les jeter, par exemple à des proches ou dans des boîtes à dons implantées dans les lycées, universités, entreprises. À défaut, ils peuvent aussi avoir une seconde vie en étant transformés en chiffons.