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C’est quoi le débat avec les méga-bassines ?

QUIZ
Le vrai nom d’une méga-bassine, c’est…

Déjà, c’est quoi une méga-bassine ?

Une méga-bassine (ou retenue de substitution tmtc) est un réservoir d’eau artificiel, plastifié et imperméable qui peut s’étendre sur plusieurs hectares (certains font la taille de 10 terrains de foot et peuvent contenir l’équivalent de 300 piscines olympiques) 😵‍💫

Ces installations permettent aux agriculteur·ices d’arroser leurs cultures pendant l’été, même quand le pays fait face à un épisode de sécheresse (souviens-toi de l’été dernier…).

En gros, ces bassines se remplissent en puisant directement l’eau dans les nappes phréatiques* ou les cours d’eau pendant l’hiver (de novembre à mars).

Qui décide d’installer des méga-bassines ?

QUIZ
Pour construire une méga-bassine, il faut l’accord…

Méga-bassines : pour ou contre ?

En octobre dernier, la construction de 16 réservoirs dans le bassin de la Sèvre Niortaise/Marais Poitevin a provoqué la colère de petit·es agriculteur·ices et d’associations écologistes qui ont manifesté sur le chantier d’une nouvelle méga-bassine. Bref, ça fait méga débat 🤔

Mais en fait, c’est quoi les arguments pour et contre ?

Les arguments pour

  • Dans son rapport sur la modélisation d’un projet dans les Deux-Sèvres, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) estime que pomper l’eau en hiver ne change pas grand-chose pour les nappes. Et ces retenues de substitution permettraient de moins prélever d’eau dans les cours d’eau/les nappes en plein été : les prélèvements dans la Sèvre Niortaise (le fleuve du coin) sont passés de 22 millions de m3 au début des années 2000 à 11,5 millions aujourd’hui.
  • Et si les retenues de substitution participaient à la transition écologique ? Par exemple, dans les Deux-Sèvres, l’Etat et les agriculteur·ices ont passé un accord dans lequel, en échange de la construction de méga-bassines, les agriculteur·ices sont encouragés à planter plus de haies, installer des corridors écologiques*, réduire l’usage de pesticides et passer à l'agriculture bio. « Ça conditionne l’accès à l’eau à un changement de l’agriculture : en gros “vous avez besoin d’eau, si vous voulez y avoir accès, il faut en contrepartie changer votre manière de cultiver” » explique Benoît Grimonprez, enseignant-chercheur en droit de l’agroécologie.
  • Aujourd’hui, pas mal d'exploitations agricoles dépendent de l’accessibilité en eau des méga-bassines. Parce que oui, quand c’est la canicule et que tu dois arroser 4 hectares de maïs, l’eau ça peut devenir cher ! Interrogé par France Bleu, Gaël Goulevant, agriculteur à Saujon en Charente-Maritime, explique que l’irrigation permise par les bassines est « comme une assurance, celle d'obtenir un revenu, quoi qu'il arrive » pour ne pas se retrouver « complètement à la merci de la météo » et pouvoir « se projeter dans l'avenir ».

Les arguments contre

Ces retenues sont loin de faire l’unanimité. Et pour ça, 2 principaux types d’arguments sont avancés : les arguments « techniques » et les arguments éthiques.

Contre-arguments techniques

L’eau stockée en plein soleil s’évapore, surtout l’été.

QUIZ
Par ex : dans les Grands Lacs aux USA, cette évaporation représente...
  • L’eau de ces bassines perd aussi vachement en qualité quand elle est stockée à l’air libre → le soleil la chauffe, ce qui favorise le développement de micro-organismes comme des cyanobactéries* qui rejettent des toxines dans l’eau, explique Christian Amblard, hydrobiologiste honoraire au CNRS. Elle devient ensuite inutilisable pour arroser les cultures/abreuver le bétail (un peu dommage bis).
  • Ces bassins d’eau peu profonde sont aussi un territoire idéal pour des espèces exotiques envahissantes comme la renoué du Japon ou la jussie rampante, qui vont donc chasser les espèces qui sont déjà là. Bref, ils bouleversent l’écosystème dans lequel ils sont installés.
  • Le niveau des nappes phréatiques est surveillé par le BRGM. Mais leur rapport sur les Deux-Sèvres est critiqué par certain·es scientifiques, comme l’hydrogéologue Florence Habets qui, interrogée par France Info, estime que ce rapport utilise comme référence un niveau de remplissage des nappes « fortement [dégradé] » (du coup, plus cette référence est basse, plus on va s’autoriser à pomper potentiellement trop d’eau dans la nappe qui ne sera donc plus en « bon état »).
  • Est-ce qu’on va même réussir à trouver l’eau nécessaire pour remplir ces bassines ? Parce qu’avec les sécheresses de + en + fréquentes, les nappes contiennent moins d’eau, même en hiver. Rien qu’en ce moment, les sols sont trop secs par rapport à la normale. Et avec le changement climatique, cette situation risque d’arriver de plus en plus souvent.
  • En pompant de l’eau dans le sol, on l’assèche (encore plus). Ces méga-bassines risquent donc d’« aggraver les problèmes de sécheresse » pointe Christian Amblard 🤷
  • Le fameux accord des Deux-Sèvres où les agriculteur·ices s’engagent, en échange de l’accès à l’eau de la méga-bassine, à prendre des engagements environnementaux, prévoit un « suivi annuel ». Mais dans les faits, il n’est « pas très bien respecté » reconnaît Benoît Grimonprez, qui cite plutôt en exemple le protocole Clain mis en place dans la Vienne, qui impose par exemple aux agriculteur·ices de restaurer une partie des cours d’eau et de zones humides affectés par le projet.

Contre-arguments éthiques

  • Si t’as bien suivi jusque là (gg c’est pas évident), t’as compris qu’une des grosses questions qui se posent est « quelle quantité d’eau faut-il prélever en hiver pour ne pas se retrouver sans eau l’été (et sans détruire les écosystèmes au passage) ». Mais une partie de la population n’a justement plus confiance envers les politiques pour respecter ces règles, estime Benoît Grimonprez. « Et quelque part c’est légitime : certains préfet·êtes sont borderline sur leurs décisions. »
  • Ces retenues sont-elles vraiment une solution de long terme face au changement climatique ? Ou sont-elles un exemple de mauvaise adaptation ? Comme l’écrit l'hydrogéologue Magali Reghezza sur Twitter : « On traite les symptômes (pénurie d’eau) au lieu de s’attaquer à l’origine du problème (déséquilibre entre les besoins et la disponibilité de la ressource) à ses racines (pratiques, usages, partage). Et on devient accroc au traitement de substitution. »
  • En maintenant la possibilité d’utiliser de l’eau « comme avant », les méga-bassines peuvent aussi entraîner un effet rebond → Les agriculteur·ices consomment toujours autant d’eau, voire plus, parce qu’elle est dispo facilement !
  • Les méga-bassines existent déjà en Espagne, au Maroc, au Chili et aux États-Unis par exemple. Selon Benoît Grimonprez, quand on regarde ce qui se fait ailleurs, « tout miser sur les retenues n’est pas une bonne idée : le stockage n’est pas bien géré, les capacités du milieu à fournir de l’eau sont amoindries, bref ce n’est pas LA solution miracle ». Interrogée par Reporterre, Chloé Nicolas, géographe au Centre du climat et de la résilience qui a étudié la situation au Chili, explique que le stockage de l’eau dans (entre autres) des retenues d’eau a provoqué un accaparement de l’eau par quelques grandes exploitations agricoles au détriment des autres…

Mieux gérer la ressource en eau : y a des solutions ?

À propos de la gestion de l’eau

  • En Europe, 80% de l’eau douce (celle que tu bois, qui arrose les champs…) vient des cours d’eau (rivières…) et des nappes phréatiques. Le meilleur moyen de les préserver, c’est de limiter les sources de pollution (due aux engrais par exemple) et de lutter contre le changement climatique, qui va favoriser les sécheresses.
  • Plus l’eau va devenir rare, plus ça risque d’être tendu au moment de se la partager. Il va donc falloir utiliser beaucoup moins d’eau et aussi se la partager équitablement, pour que personne ne se retrouve lésé·e 🤝
  • Et justement, en parlant de répartition de l’eau → plutôt que de continuer de confier cette tâche à l’État, qui n’est plus considéré comme légitime, Benoît Grimonprez propose de gérer l’eau de manière plus horizontale avec « plusieurs instances » où « toutes les parties prenantes (élu·es, citoyen·nes, agriculteur·ices…) sont représentées » + conditionner l’accès à l’eau au respect de plusieurs mesures pour faire évoluer l’agriculture vers des pratiques plus éco-friendly.

Des solutions plus techniques

  • Selon Christian Amblard, pour s’adapter au mieux aux effets du changement climatique, il faut surtout améliorer les réserves d’eau naturelles (souterraines ou non) → moins artificialiser les sols, préserver les zones humides, améliorer la qualité des sols et, dans les cultures, faciliter l’infiltration de l’eau dans le sol. Bref, en gros, respecter ce que conseillent les agences de l’eau depuis plusieurs années.
  • Ne pas laisser le sol nu en hiver aide à limiter l’érosion et le lessivage* des sols. L’idée c’est de retrouver des sols vivants avec une faune souterraine pour qu’ils retrouvent leur perméabilité 🪱 Car perdre de la biodiversité = perdre des solutions pour mieux s’adapter au réchauffement climatique.
  • Dernier souci : les projets en cours ont été décidés il y a des années (le temps que des études soient faites, qu’il y ait des recours…) donc ils sont un peu datés quoi. « Si on les concevait aujourd’hui, on ferait sans doute différemment, par exemple avec un système souterrain » reconnaît Benoît Grimonprez.
C’est plus clair pour toi maintenant ?

Nappe phréatique : on l'appelle aussi nappe aquifère. C’est une réserve d’eau douce souterraine (située à faible profondeur) formée par l’infiltration des eaux de pluie dans le sol. Elle alimente les puits ou les sources.

Corridor écologique : Passage (naturel ou artificiel) comme une haie, un pont, une rivière qui relie les habitats naturels entre eux et permet aux animaux et plantes de se déplacer.

Cyanobactérie : Organismes microscopiques pouvant se développer dans les eaux douces stagnantes, peu profondes et riches en nutriments. Elles forment des dépôts abondants de couleur bleue/verte et des mousses appelés «efflorescences algales». Certaines espèces peuvent même produire des toxines qui vont provoquer des troubles de la santé chez l'homme et les animaux

Lessivage : transport d'éléments du sol (sédiments, engrais, pesticides, etc.) par les eaux de surface comme la pluie. Ce phénomène a pour conséquences l'appauvrissement, la dégradation du sol et la pollution des cours d’eau.

Interview de Christian Amblard, hydrobiologiste honoraire au CNRS
Interview de Benoît Grimonprez, enseignant-chercheur en droit de l’agroécologie
Bulletin of the American Meteorological Society - Reservoir Evaporation in the Western United States: Current Science, Challenges, and Future Needs
Deux-Sèvres.gouv - Protocole d’accord pour une agriculture durable dans le territoire du bassin Sèvre Niortaise – Mignon
Legifrance - Article R211-21-1 du code de l’environnement
Le Monde - Les pluies restent insuffisantes pour effacer les effets de la sécheresse de 2022 sur la ressource en eau
Reporterre - Au Chili, les mégabassines néfastes depuis 35 ans
Agence européenne pour l’environnement - L’exploitation de l’eau en Europe: des enjeux quantitatifs et qualitatifs
Vienne.gouv - Les enjeux de l'eau dans la Vienne : le protocole du bassin du Clain
France Bleu - "Méga-bassines" : au cœur de la contre-manifestation d'agriculteurs irrigants en Charente-Maritime
Coop de l’eau 79 - Le Vrai/Faux du projet des 16 réserves collectives de substitution du bassin de la Sèvre Niortaise Marais Poitevin
Umap - Bassines

Nicolas Quénard
The Lizard King
Pauline Vallée
Voisine de Totoro

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