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Théâtre, festival, concert… C’est quoi l’impact écologique du spectacle vivant ?
Louisa Benchabane&
Pauline Vallée
Louisa Benchabane&
Pauline Vallée
Voilà un exemple (mais en vrai y en a plein d’autres) de la pollution générée par le monde de la culture. Désolée de jouer les rabats-joie, mais oui faut en parler (et promis, on va aussi aborder les solutions, car y en a plein !).
Après s’être penché sur le cinéma, on s’attaque dans cet épisode au spectacle vivant*. Concert, théâtre, festival, danse, opéra… Quel est l’impact écologique de ce secteur ? Et comment peut-il devenir plus vertueux ?
C’est difficile de donner un seul chiffre → le spectacle vivant regroupe tellement de situations/disciplines différentes qu’on ne peut pas tout mettre dans le même panier.
Certains festivals (comme We Love Green) et certaines structures (comme l’opéra de Lyon) calculent leur empreinte carbone, mais il n’existe pas de méthode universelle de référence pour le faire → les chiffres peuvent beaucoup bouger en fonction de ce qui est pris en compte dans le calcul 🤷
Pour te donner une idée, le Shift Project a quand même estimé en 2021 le bilan carbone de différents types de spectacles :
Selon leurs calculs, un festival situé en périphérie des villes, et qui brasse environ 280 000 personnes, émettrait l’équivalent de 15 656 tonnes de CO2 pour 4 jours de festival. C’est grosso modo l’équivalent de ce qu’émettent 1500 Français·es en moyenne pendant une année entière.
Comme tu peux le voir, le transport représente une grosse partie de cette pollution, surtout celui des festivalier·ères.
Les calculs du Shift rejoignent les conclusions du Syndicat des entreprises artistiques et culturelle, qui a publié fin 2022 un livre blanc sur le sujet : dans le secteur du spectacle vivant, le transport des personnes et du matériel représente environ 75% des émissions de gaz à effet de serre. Surtout les déplacements faits par les spectateur·ices : ils représentent à eux seuls 66% des émissions (à cause de l’utilisation de la voiture).
Mais évidemment, ça ne veut pas dire que c’est le cas pour tous les festivals : le festival parisien We Love Green par exemple n’a émis « que » 1700 tonnes de CO2 en 2022 (10 fois moins donc).
Un festival urbain émettrait l’équivalent de 27 848 tonnes de CO2 pour un mois de festival. C’est grosso modo l’équivalent de ce qu’émettent 2700 Français·es en moyenne pendant une année entière.
En plus du transport des festivalier·ères, le transport des œuvres (aka, le déplacements des décors) représente aussi un gros pôle d’émissions de gaz à effet de serre → une partie d’entre elles sont transportées en avion depuis l’étranger. Et « sur les 1500 compagnies du festival Off d’Avignon, 1100 viennent de Paris, Lille, Lyon… principalement par la route, en camions et voitures » détaille Samuel Valensi, auteur, metteur en scène et coordinateur du rapport du Shift Project.
Une salle de spectacle émettrait entre 1200 tonnes (si elle est en centre-ville) et 1500 tonnes de CO2 (si elle est située en périphérie) chaque année.
Sur ce point, le Shift estime que le transport des œuvres est, là encore, la plus grosse source d’émissions de CO2, en particulier à cause du matériel transporté par les artistes en tournée dans différentes salles. Mais ça ne se vérifie pas dans les chiffres donnés par les salles de spectacle 🤷 Bref, y a encore du flou là-dessus.
L’impact d’un événement sur l’environnement ne se mesure pas qu’aux émissions de gaz à effet de serre qu’il génère.
Le Ministère de la culture va bientôt sortir un pacte d’engagement écologique. « Il constituera un cadre structurant et souple et guidera les artistes et professionnels dans la mise en place d'une démarche écoresponsable » révèle Frédérique Sarre, référente écologique et création artistique au ministère.
Mais pour commencer cette transition, les collectifs s’appuient surtout sur le même rapport du Shift project qu’on a évoqué plus haut. Dedans il y a pas mal de pistes pour changer les pratiques 🧐
Pour les festivals de musique par exemple, les producteur.ices et tourneur.ses de musiques ont confié au Shift Project devoir en faire toujours plus car chaque année les festivals grandissent un peu plus → l’objectif c’est d’arrêter cette course au « toujours plus ».
Au théâtre de la Monnaie, des débats sur le sujet ont été organisés avec le public → « Une des solutions trouvée par les spectateur·ices est d'adapter les horaires des spectacles à ceux des transports en commun » rapportent Sophie Lanoote et Nathalie Moine, autrices d’un livre blanc sur les solutions pour rendre le spectacle vivant plus écolo. Autres pistes :
Plusieurs géants de la tech, veulent bâtir un « métavers » → un méta-univers numérique où il serait possible d’assister en ligne des événements culturels comme des concerts.
Pour Nathalie Moine, le recours à ce métavers pose question : « Est-ce qu’il est vraiment nécessaire, quand on voit combien ça consomme ? »
Un des domaines où le milieu se mobilise de plus en plus, c’est celui de l’éco-conception des décors et des costumes et de l’économie circulaire.
Des ressourceries spécialisées apparaissent, comme celle du Théâtre de l’Aquarium à Paris. « C’est possible de continuer à rêver de grands décors, mais ça demande beaucoup de coordination, il faut que les tourneurs et les producteurs se parlent » juge Samuel Valensi.
En proposant des options végé dans les lieux culturels par exemple.
Là, il reste du chemin à faire 😅 Les artistes ne sont pas encore embarqué·es, ou alors très peu. « La décision de ralentir quand on est un artiste est difficile. Si vous êtes le premier à ralentir, vous avez perdu. C’est pour ça qu’il faut poser la question à l’échelle collective » résume Sophie Lanoote.
Mais certaines scènes comme We Love Green commencent à parler avec eux de ces sujets : « On accompagne et négocie avec des équipes artistiques pour essayer de changer leur mode de déplacement. C’est pas facile, mais cette année, 2 équipes artistiques qui devaient prendre l’avion sont venues en train à la place » confie Marianne Hocquard.
Quelques artistes ont déjà franchi le pas. Le danseur et chorégraphe Jérôme Bel a été l’un des premiers, dans le spectacle vivant, à s’engager sur la question écologique, en refusant notamment de prendre l’avion pour les tournées de ses spectacles - un engagement qui a fait baisser son empreinte carbone d’environ 99%.
D’autres artistes s’impliquent aussi comme la pianiste Vanessa Wagner. Mais ils sont visés par quelques critiques, vu que « cette décision intervient après une carrière déjà bien remplie » explique Sophie Lanoote.
Pour elle, c’est toute la conception du succès qu’il faut revoir. « Est-ce que le succès, c’est de faire des grandes tournées internationales ? Beaucoup d’artistes disent que si cette idée-là évoluait, leur vie serait plus douce. »
Spectacle vivant : Ensemble des spectacles « produits ou diffusés par des personnes qui, en vue de la représentation en public d'une œuvre de l'esprit, s'assurent la présence physique d'au moins un artiste [...] ». La danse, la musique, le théâtre, les arts de la rue font partie du spectacle vivant (contrairement au cinéma).
Décarboné : Qui n’émet pas de CO2.
Interview de Samuel Valensi, auteur, metteur en scène de La Poursuite du Bleu et responsable Culture du Plan de Transformation de l'Économie Française au Shift Project
Interview de Sophie Lanoote et Nathalie Moine, co-autrices du live blanc Le Spectacle et le vivant
Interview de Marianne Hocquard, responsable développement durable chez We Love Green
Interview de Frédérique Sarre, référente écologique et création artistique au ministère
Shift Project - Décarboner la culture !
Washington Post - Covid put music festivals on hold. Climate change might offer bigger long-term problems
Syndicat des entreprises artistiques et culturelles - La Mutation écologique du spectacle vivant
Ministère de la culture - Spectacle vivant
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