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11 min

Aura-t-on vraiment un jour un avion vert ?

« De plus en plus de jeunes ont compris que l'aviation était le mode de transport du futur » assurait le PDG d’Airbus, Guillaume Faury sur France Inter en avril 2023.

SONDAGE
T’es d’accord ?

Le truc c’est que le futur de l’aviation est difficilement dissociable du futur de la planète.

L’avion, ça pollue tant que ça ?

On estime que les émissions de l’aviation représentent entre 2% des émissions mondiales (si on prend en compte seulement le carburant) et 6% des émissions mondiales (si on prend aussi en compte tout ce qui est autour comme l’énergie utilisée pour produire le kérosène*, les traînées de condensation qui contribuent aussi à l’effet de serre…).

C’est pour ça que les États membres de l’ONU se sont mis d’accord pour fixer un objectif ambitieux : que l’aviation atteigne la neutralité carbone d’ici 2050.

C’est joli tout ça, mais pour atteindre cet objectif il va donc falloir faire de sacrés efforts. Du côté de l’industrie aéronautique, beaucoup d’acteurs parient sur la technologie plutôt que sur la sobriété : des « avions verts » ou des « avions zéro carbone ». Mais concrètement, de quoi on parle ? Et c’est réaliste ?

L’avion vert, à quoi ça pourrait ressembler ?

Il y a plusieurs pistes qui sont évoquées par l’industrie aéronautique et par les ingénieur·es qui se penchent sur la question d’un avion beaucoup moins polluant.

L’avion à hydrogène*

C’est la principale solution défendue par Airbus. Dans des documents de l’entreprise, on lit par exemple que « chez Airbus, nous pensons que l'hydrogène est l'une des technologies de décarbonation les plus prometteuses pour l'aviation ». La carte qu’ils veulent jouer : celle du projet ZEROe dont l’objectif est de « mettre sur le marché un avion commercial à faible teneur en carbone d'ici 2035 ». Ambitieux 🤓

QUIZ
Et c’est vrai que l’hydrogène a de gros avantages :

Maaaaais il y a un mais (et même plusieurs, oupsy 😬).

D’abord, l’hydrogène est peut-être plus léger mais il prend environ 4 fois plus de place que le kérosène selon le Référentiel aviation climat de l’Institut Supérieur de l’Aéronautique et de l’Espace. Il faut donc inventer une nouvelle solution de stockage dans les avions et revoir complètement leur architecture.

Il faut aussi pouvoir alimenter les aéroports en hydrogène, et c’est un très gros défi côté infrastructure, même si des pistes comme la réaffectation des pipelines qui existent déjà sont étudiées.

Le rapport du Shift Project « Pouvoir voler en 2050 » rappelle aussi que si l’hydrogène n’émet pas de CO2 à l’usage, sa production peut générer de grosses émissions de gaz à effet de serre : « Aujourd’hui, 95% de l’hydrogène produit dans le monde pour des procédés industriels, notamment dans les raffineries, l’est à partir de matières fossiles. »

L’ISAE-SUPAERO précise qu’actuellement voler à l’hydrogène émettrait donc plus de gaz à effet de serre au total que de voler au kérosène.

Pour que ça devienne intéressant d’un point de vue écolo, il faudrait produire de l’hydrogène « vert » ou « décarboné » fabriqué grâce à de l’électricité décarbonée elle aussi (renouvelable, nucléaire). Mais là encore, ça veut dire qu’il faut qu’il y en ait suffisamment pour ça. Ça risque de mettre le secteur de l’aviation en concurrence avec d’autres : va falloir décider qui est prio entre avions, autres transports, industrie, etc !

Côté impact de l’aviation sur le changement climatique, l’hydrogène n’est pas parfait non plus puisqu'il faut prendre en compte les « effets non-CO2 » générés notamment par les traînées de condensation que laissent les avions (tu sais, les grandes traces blanches, on t’en parlait ici). Et l’hydrogène permettrait peut-être de les réduire, mais pas de les supprimer 🤷‍♀️

Pour finir il y a aussi un défi en matière de sécurité : l’hydrogène est « naturellement explosif sous forme gazeuse au contact de l’oxygène ». Va falloir convaincre le public que c’est sécurisé, et avant ça passer par des procédés de certifications qui seront trèèèèès longs.

Ouais pas simple de suivre 😰 Mais en résumé :

  • Il va falloir masse de temps et d’argent pour développer de nouveaux avions et de nouvelles infrastructures (et avoir les certifications). Problème : pour limiter l’impact de l’aviation sur le climat, on n’a pas vraiment le temps. La réduction des émissions doit être précoce pour être efficace et c’est l’ISAE-SUPAERO qui le dit !
  • On risque d’avoir des difficultés à fournir assez d’hydrogène vert.
  • Ce ne sera pas un avion parfait car il continuera d’avoir des effets non-CO2 sur le climat.
  • Tous les avions ne pourront pas bénéficier de cette technologie, parce que les projets actuels d’avions à hydrogène ne parlent que d’appareils destinés à des vols courts et moyens courriers (maximum 7000 km)... vols qui pour beaucoup, peuvent en fait se faire en train. Et en réalité, à l’heure actuelle on ne sait pas vraiment faire des avions à hydrogène…

Les biocarburants

Passons donc à la deuxième solution, les biocarburants. Il y en a deux types principaux aujourd’hui :

  • Les biocarburants de 1ère génération, produits à partir de culture (colza, tournesol, blé, soja, maïs, palme…) 🌾
  • Et les biocarburants de 2e génération, produits à partir d’huile de cuisson usagée ou de déchets organiques (résidus agricoles, déchets municipaux, etc) ♻️

La première raison pour laquelle on voudrait utiliser des biocarburants, c’est la réduction des émissions de gaz à effet de serre : on considère effectivement que le carbone relâché par la combustion de ces biocarburants a d’abord été capturé dans l’atmosphère pendant que les plantes qui ont servi à sa fabrication grandissaient. Ça fait donc un meilleur bilan carbone au total que quand il est extrait du sol où il dormait depuis très très longtemps. Mais en réalité, c’est surtout vrai pour la 2e génération parce que pour la 1ère, c’est difficile à vérifier. S’il faut cultiver activement des terres exprès pour produire ce biocarburant, ça risque de mener à de la déforestation et à d’autres types d’émissions de gaz à effet de serre qui sont difficiles à calculer.

L’autre très (très) (très très) gros avantage des biocarburants, c’est qu’il peut être utilisé direct → y a pas de changement d’avions ou d’infrastructures trop importants à faire.

Les dernières générations d’avion actuellement en service peuvent déjà embarquer en théorie jusqu’à 50% de biocarburants, et il y a des projets pour en embarquer jusqu’à 100% (y a déjà eu un essai avec un avion commercial ATR 100% biocarburant par exemple).

Le problème, c’est que cette possibilité n’est pas appliquée dans la pratique, comme l’explique Charlène Fleury de l’association Rester sur Terre : « Ça fait des dizaines d’années que le secteur de l’aviation dit qu’il va incorporer graduellement des biocarburants, mais l’objectif pour 2020 était de 6% et en réalité ça a stagné à 0,01%. »

C’est pas vraiment étonnant : y a pas assez de biocarburant pour fournir toute la demande du secteur de l’aviation aujourd’hui. Et c’est pas gagné qu’il y en ait assez à l’avenir :

  • Pour la 1ère génération de biocarburants, les cultures nécessaires font concurrence à l’alimentation.
  • C’est pour ça qu’il est recommandé de favoriser la 2e génération, mais il y a tout simplement pas assez d’huile usagée et de déchets organiques !

… et sur le peu qui a déjà été commercialisé, il y a déjà eu des cas de fraude « qui consistent à maquiller de l’huile végétale vierge en huile alimentaire usagée » explique l’association Canopée (en gros, on fait passer des biocarburants de 1ère génération pour des carburants de 2e génération). Pas ouf.

Si on résume, sur le papier ça a l’air pas mal, mais dans la pratique c’est un peu utopique 😶

Les avions électriques ou hybrides

Autre option : l’avion électrique ou hybride. En gros, l’équivalent pour l’avion des voitures électriques ou hybrides.

Il a le gros avantage de ne pas émettre de gaz à effet de serre en vol, et de ne pas avoir d’effets non-CO2 non plus pour ce qui est du tout électrique. L’hybride est quant à lui envisagé non pas pour les faire disparaître, mais pour les réduire.

Aujourd’hui, il y a déjà de petits avions de tourisme électriques, et plusieurs pistes sont étudiées pour des « commuters » (des aéronefs), pour l’aviation d’affaire...

Mais… il y a encore un « mais ».

  • Ces avions ne voleront sans émettre de CO2 que si l’électricité qui les alimente est elle-même décarbonée. Et cette électricité décarbonée ainsi que les terres rares* nécessaires à la fabrication des batteries, tout le monde va se les arracher : pas gagné qu’il y ait de quoi fournir pour le transport automobile, le transport aérien, et le reste.
  • Le poids des batteries est 10 fois supérieur au kérosène ! Aujourd’hui, on ne sait pas en mettre sur de grands avions, et d’après l’ISAE-SUPAERO, ce n’est pas quelque chose qu’on saura faire avant plusieurs dizaines d’années (au minimum 2045)... ce qui est un peu tard puisqu’il faut réduire nos émissions dès maintenant.

Ce sera donc plutôt de petits avions pour de petites distances, bref, « un gadget pour riche » résume Charlène Fleury 💸

Les électro-carburants

Une dernière piste : les électro-carburants (ou technologie power-to-liquid). Ce sont des carburants synthétiques, qu’on peut fabriquer à partir de CO2 et d’hydrogène, grâce à un procédé qui recourt à l’électricité.

Encore une fois, en théorie ça peut permettre de moins émettre, mais en pratique ça dépend de comment on les fabrique : comme pour les avions électriques, est-ce que l’électricité utilisée pour fabriquer ces électro-carburants est décarbonée ? Est-ce que l’hydrogène lui-même a été produit à partir d’électricité décarbonée ?

Ce procédé est tellement gourmand en électricité qu’il en devient assez peu intéressant selon Charlène Fleury : « Avec la production électrique actuelle, ce n’est pas possible, et avec la concurrence d’autres secteurs comme l’automobile, on ne voit pas comment résoudre l’équation. »

Et la compensation carbone ?

Si tu te dis « bon, en dernier recours, on peut toujours compenser nos émissions en plantant des arbres par exemple »… Déso de te décevoir, mais c’est une solution qui marche pas vraiment non plus, pour tout un tas de raisons (dont le fait que c’est temporaire et pas ouf pour la biodiversité notamment !).

Même l’Agence pour la transition écologique le dit : les vols ne seront pas complètement décarbonés en 2050. Du coup, va falloir trouver d’autres solutions pour réduire l’impact de l’aviation, et vite vite vite ⏳

Réduire l’impact carbone de l’avion : y a des solutions ?

Y a pas de solution miracle qui permettrait de prendre l’avion pour aller en vacances la conscience tranquille dans un futur proche 😢

Limiter le nombre de vols

Même si on pousse tous les curseurs technologiques à fond, il faut dans tous les cas modérer le trafic. « Nous n’identifions aujourd’hui aucune trajectoire, aucun scénario crédible s’insérant dans un budget carbone “2°C”, qui ne soit accompagné d’une limitation de la croissance du trafic » expliquent les auteur·ices du rapport du Shift project.

C’est hyper dur de se projeter dans un monde avec un nombre de vols limité dans une société aussi mondialisée → « Prendre l’avion c’est aussi un signe de distinction sociale : par exemple dans les écoles, on valorise encore énormément les séjours à l’étranger » souligne Charlène Fleury 🌍

Bon ça veut pas dire qu’on va plus voler du tout, mais qu’on va devoir changer nos habitudes. Par exemple, pour le travail, lorsque c’est possible, les entreprises devront privilégier les appels par visio plutôt que d’envoyer leurs salarié·es à l’étranger pour des rendez-vous d'affaires.

Ça demande aussi des changements plus radicaux. « Il faudrait une société où on pourrait ménager du temps pour voyager loin sans avoir à prendre l’avion » imagine Charlène Fleury. Pour elle, ça demande de « renouer avec une forme d’aventure lorsqu’on voyage ».

L’avion : un privilège réservé aux plus riches

Et faut pas oublier que prendre l’avion, c’est un privilège réservé à une minorité (celles et ceux qui ont assez d’argent, donc).

QUIZ
Quel pourcentage de la population mondiale prend l’avion ?

On l’a vu plus haut, selon un sondage, 41% des Français·es sont ok pour se limiter à 4 vols au cours de leur vie, comme le recommande Jean-Marc Jancovici, ingénieur et fondateur du Shift Project : « C’est assez normal, car beaucoup ne le prennent jamais, c’est vraiment un truc de classe aisée » estime Charlène Fleury.

Selon elle, il faut trouver un équilibre entre freiner l’usage de l’avion par cette classe aisée et maintenir la possibilité de voyager pour voir sa famille ou pour des raisons sanitaires.

Plusieurs solutions existent déjà :

  • Taxer l’avion pour financer le train → « On pourrait taxer le kérosène sur les vols intérieurs. On pense aussi qu’il faut le taxer pour les vols en Europe. Il faut que la France montre l’exemple » propose Charlène Fleury.
  • Vers le plafonnement des vols ? L'aéroport d'Amsterdam-Schiphol, l'un des plus fréquentés d'Europe, l’a fait → il va limiter le nombre de vols internationaux. Une décision prise dans le cadre d'un plan du gouvernement néerlandais pour réduire les émissions de CO2 👀

Kérosène : Produit dérivé du pétrole qui sert de carburant pour moteurs d'avion à réaction.

Hydrogène : Gaz très léger dont la formule chimique est H2. A l’état naturel, il est généralement combiné avec d’autres atomes (on le trouve notamment dans l’eau). Des procédés chimiques permettent de séparer l’hydrogène de ces éléments auxquels il est associé, comme l’électrolyse de l’eau.

Terres rares : Groupe de métaux pas si rares que ça → ils sont disséminés un peu partout dans le monde, mais en très faible quantité et mélangés, ce qui rend leur extraction compliquée.

Interview de Charlène Fleury, de l’association Rester sur Terre
France Inter - Guillaume Faury (Airbus) : "On pense revenir au niveau de production pré-Covid à la fin de l'année 2024"
BFMTV - 41% des français se disent prêts à ne prendre l’avion que 4 fois dans leur vie
Les Echos - Ecologie : les Français pas prêts à renoncer à l'avion
Greenpeace - La jeunesse prête à moins prendre l’avion
Airbus - Hydrogen : an important decarbonization pathway
Airbus - Low-carbon aviation : Introducing new technology to aerospace
Airbus - Decarbonisation : Towards low-carbon air travel for future generations
Shift Project - Préparer l’avenir de l’aviation
Shift Project - « Pouvoir voler en 2050 : quelle aviation dans un monde contraint ? »
ADEME - 3 scénarios pour décarbonner le transport aérien
Gouvernement - France 2030 | Accélérer le déploiement de l’hydrogène, clé de voûte de la décarbonation de l’industrie
Parlement européen - Hydrogène renouvelable : quels sont les avantages pour l'UE ?
Bioénergies - ATR réalise le premier vol de l’histoire avec 100% de biocarburant dans un avion commercial
Stay Grounded - Greenwashing fact sheet 4 : Biofuels
Canopée - Le mythe de l’avion vert comment voler aux biocarburants détruit la biodiversité

Esther Meunier
À la recherche de bonnes nouvelles
Louisa Benchabane
En quête de solutions

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