
9 min
À quoi ressemblera la France de 2050… côté montagne ?
Esther Meunier&
Pauline Vallée
🤝 En partenariat avec On est prêt
Esther Meunier&
Pauline Vallée
🤝 En partenariat avec On est prêt
- Oui oui on se voit ce soir Lina ! Je file je suis encore en retard !
Je dévale les escaliers depuis le 2e étage. On habite une ancienne résidence touristique reconvertie en logements permanents depuis 10 ans, avec des services partagés comme tout ce qui est électroménager mais aussi une salle commune où je viens de partager un café avec ma voisine.
Il reste bien sûr des logements touristiques dans les anciennes stations des Pyrénées comme Cauterets, mais, pour faire face à l’augmentation de la population présente à l’année, pas mal ont aussi été rénovés et transformés pour être confortables et conformes aux normes énergétiques ! Ça a été facilité par le plan de lutte contre le double-habitat : il y avait trop de résidences secondaires jamais ou peu occupées et on se retrouvait à construire encore et toujours… pour rien.
Je dois retrouver un couple venu randonner pour la première fois dans les Pyrénées à… 9h ? Heureusement que je suis juste à côté de l’Office des guides de montagne Cauterésien·nes et que j’y vais à pied ! Je franchis la porte en trombe.
- Respire Mathilde, elles sont pas arrivées, me lance Johann, un collègue.
Ouf, je souffle en posant mes affaires. À peine 2 minutes plus tard, 2 vingtenaires franchissent la porte à leur tour, l’air curieux.
- Bonjour ! Vous êtes Aya et Liam ?
- Oui c’est ça, me répondent-elles en cœur
- Enchantée je suis Mathilde, c’est moi qui vais vous accompagner aujourd’hui. Vous avez trouvé sans problème ?
- Oui c’était tout simple, on a marché depuis la gare !
- Ah en train. Vous venez de loin ?
- De Paris, on a pris le TGV jusqu’à Lourdes, et ensuite la ligne qui passe par Pierrefite et on est arrivées à la fameuse gare de Cauterets.
- Ha oui haha, c’est vrai qu’elle a son petit style !
La ligne réhabilitée qui va de Lourdes à Luz dessert aussi Pierrefite et Cauterets notamment.
- On va se préparer, mais avant tout je dois vérifier que vous avez bien vos permis montagne ?
- Oui bien sûr, répond sa compagne en cherchant sur son téléphone. Ils doivent être juste là. On est super contentes d’avoir été tirées au sort !
- C’est vrai que quand on n’est pas du coin, il faut soit avoir les moyens soit avoir de la chance…
- C’est quelle part des permis qui sont distribués au hasard ?
- 25% selon conditions de ressources et au hasard je crois, ensuite il y a 25% faut payer, et 50% pour les gens de la région quand même.
- Ça fait longtemps que ça existe de toute façon ces permis non ?
- Maintenant les gens sont habitués oui, ça doit faire 25 ans…
- 23, me corrige Johann, qui a suivi l’instauration de ce mode de fréquentation de la montagne. Y a pas eu le choix ça faisait trop de monde, on aurait détruit les écosystèmes sinon !
- Oui c’est sûr, acquiesce Aya.
- D’ici, vous avez vue sur toute la vallée ! Et on va arriver au niveau du Pont d’Espagne. Avant on venait en voiture jusqu’ici mais avouez c’est plus sympa en ascenseur valléen ?
- Haha perso j’ai pas le vertige mais j’ai facilement le mal des transports, donc ça me va, me répond Aya.
Perchées dans notre cabine de téléphérique, on se dirige vers le point de départ de la rando du jour : direction le pont d’Espagne, pour rejoindre le lac d’Ilhéou !
- Ça fait longtemps que vous faites ce métier ? demande Liam.
- Ça dépend ce qu’on appelle « ce métier ». J’ai 41 ans, et ça fait 20 ans que je travaille en montagne. Mais j’ai débuté comme mono de ski plus précisément, je faisais surtout de l’alpin.
- Ah oui c’est pas le même délire. On en fait plus trop de l’alpin ici non ?
- Non haha, l’alpin c’est devenu mission impossible, sauf si on parle plutôt de ski de rando ou qu’on a les jambes pour monter à pied ! Ici à Cauterets la plupart des remontées mécaniques ont été démontées : elles n’étaient plus assez rentables avec la baisse de l’enneigement.
- Du coup vous avez dû vous reconvertir ?
- J’aurai pu partir comme l’ont fait certains dans les quelques stations dans les Alpes qui ont pas décidé de transitionner complètement. Mais j’aime bien ici, et puis ça c’est pas fait d’un coup, les gens venaient de moins en moins pour faire de l’alpin donc les activités touristiques se sont diversifiées au fur et à mesure. En tant que mono de ski j’ai continué à faire du ski de fond et même un peu de ski de rando pendant longtemps par exemple ! Et c’est toujours le cas quand l’enneigement le permet.
- Sinon c’est rando et raquettes quoi ?
- Oui, pour moi. Mais certains font aussi beaucoup de vélo, de l’escalade... Il y a des via ferrata sympa aussi y compris pour les débutants, et ça depuis longtemps ! Ça a juste pris de l’ampleur par rapport au reste.
En sortant de la cabine, les filles regardent tout autour. Je les imite : c’est vrai que ça a changé en 20 ans, mais finalement, je trouve que c’est presque plus « vivant ». On respecte davantage les écosystèmes et les espèces qui y vivent, et les gens qui investissent les montagnes sont plus divers parce qu’il y a pas besoin d’être à l’aise sur une paire de ski ou de payer une blinde son forfait !
Le soleil commence à taper : on a beau être en octobre, il fait quasi aussi chaud qu’en été. Je sens que ça commence à ralentir dans mon dos. Il est temps de faire une petite pause.
- Il y a un super coin dans 200 mètres, ça vous dit de s’arrêter là pour le pique-nique ?
Aya et Liam, toutes essoufflées, hochent la tête sans même arriver à émettre un son.
- C’est normal d’avoir l’impression de manquer d’oxygène ? halète Aya en se débarrassant lourdement de son sac cinq minutes plus tard. On est très haut là non ?
- Environ 1700 mètres. C’est bien qu’on fasse une pause, ça va permettre à vos corps de s’habituer.
Je les laisse reprendre leur souffle pendant que je sors les gourdes et les sandwiches. Visiblement leurs forces reviennent assez vite, suffisamment en tout cas pour photographier chaque mètre carré de la forêt environnante. Ahlala, ces jeunes…
- Pardon, dit Liam, un peu honteuse, une fois la séance photo terminée. C’est juste que c’est super beau, on a pas l’habitude de voir ça !
Haha pas de souci. Vous pouvez me taguer sur Insta si vous voulez !
- Euh… désolée, on utilise pas Instagram, me répond Aya, l’air gênée. Je l’entends chuchoter à Liam, quelques secondes plus tard « Y a encore des gens là-dessus ? ».
Une fois leur sandwich entre les mains, elles se contentent heureusement d’admirer les alentours avec leurs yeux. Il y a de quoi faire : à cette saison, le doré des bouleaux et des hêtres rivalise avec le rouge des sorbiers et le vert des sapins. La journée, magnifique, fait presque vibrer leurs couleurs.
- C’est quoi ce truc ? relève Aya en me montrant des petits sacs fixés sur le tronc de certains arbres.
- Des pièges à chenilles processionnaires. On est obligé d’en mettre de plus en plus sur les pins pour les protéger, ces saletés se développent et remontent de plus en plus haut dans la montagne…
Le déjeuner expédié, il faut reprendre la marche. Je motive les troupes : le lac, but ultime de notre balade, n’est plus très loin !
J’ai beau y venir très souvent, c’est toujours un sacré spectacle. Ses eaux bleues et vertes reposent dans un écrin de collines recouvertes de lande, où fleurissent encore, grâce à la douceur du climat, le rhododendron ferrugineux et le géranium des Pyrénées.
- Alors ça valait le coup de grimper non ? Oh et regardez, vous avez de la chance ! Juste là, dans le ciel, le point que vous voyez, c’est un lagopède alpin ! Ces oiseaux deviennent de plus en plus rares…
D’un même mouvement, Aya et Liam plongent la main dans leurs poches et sortent leurs téléphones.
- Oh non…
- Hé Lina ! On se retrouve au Local ?
Ça fait dix minutes que je fais la tournée des portes de mon étage. Après une journée pareille, j’ai bien envie d’un verre !
Le « Local », c’est l’espace partagé de notre résidence, baptisé ainsi en honneur de son ancienne fonction : local à ski pour les touristes. L’odeur et les casiers en bois cheapos ont disparu, mais l’ambiance est restée grâce à la passion déco de Lina qui a écumé les brocantes. Photos random de marmottes sur les murs, plafond lambrissé, plaids motif flocon de neige... S’y poser, c’est faire gratuitement un voyage 30 ans en arrière.
Je suis la première à arriver. Même les Drissen ne sont pas encore là (pourtant leurs fils vivent quasiment scotchés à la PS7 -partagée, aussi- qui occupe un coin du salon). J’en profite pour sortir 4 bouteilles d'Aoucataise (une bière locale) du frigo commun.
- Alors tu t’es bien promenée aujourd’hui ?
Je ne réagis même plus. Isaac aime bien faire comme si mon travail, et celui des autres en général, consistait à se la couler douce. Avec un métier physique comme le sien (il est couvreur), ça se comprend, mais à la longue, ça finit par devenir lourd.
- On est allé au lac d’Ilhéou avec deux beaux spécimens de la génération alpha. Ça m’a donné un sacré coup de vieux. Et toi ? Encore sur le chantier ?
- Oui, ça avance bien, répond-il en s’asseyant sur une des anciennes tables à pique-nique pendant que je pousse une bouteille devant lui. Le toit devrait être totalement fini d’ici quelques jours. Eh, Léo ! Viens boire un coup avec nous !
La tête de Léo, qui dépasse à peine de l’encadrement de la porte, se fend d’un grand sourire pendant qu’il pousse le battant. Il ne descend jamais de lui-même dans la salle commune. Pas le réflexe, ou le courage ? Sans doute parce que « monsieur télétravail » (comme l’appelle Isaac) vivait encore six mois plus tôt dans un petit appart dans le centre de Toulouse sans connaître aucun de ses voisin·es.
- Ça a été ta journée ?
- Bien sûr que ça a été, il a bossé assis face à son ordinateur, tranche Isaac.
- C’était bien, ajoute timidement Léo. On avait notre point d’équipe mensuel aujourd’hui. Je ne regrette vraiment pas la ville, apparemment il a fait plus de 30°C aujourd’hui…
- T’as bien fait de venir t’installer à Cauterets au frais avec nous.
- Ah Lina, te voilà ! Viens vite, je t’ai pris une bière.
La dream team est rassemblée comme toujours.
- Venez, on fait une photo !
Je sors mon smartphone et le tourne en mode selfie. Tous me sortent leurs plus beaux sourires (sauf Isaac, comme d’hab, qui fait la grimace).
- Tu me l’envoies ? demande Lina en sortant son tel.
Clin d'œil.
- T’inquiète, je vais plutôt... la poster sur Insta.
Interview de Loïc Giaccone, chercheur du programme justice environnentale à l’Université de Georgetown
Agence régionale de la biodiversité Nouvelle-Aquitaine - Rapport « Le changement climatique dans les Pyrénées, impacts, vulnérabilités et adaptation »
Ministère de la transition écologique - Vision France 2050
Parc national des Pyrénées - Le patrimoine naturel
Office de tourisme de Cauterets - Animateurs nature au Pont d’Espagne
WWF - L’impact du dérèglement climatique sur le sport
The cryosphere - Winter tourism under climate change in the Pyrenees and the French Alps: relevance of snowmaking as a technical adaptation
Revue Les Passeurs - N°1 Vivre en Montagne après 2050
La relève et la peste - Une station de ski anticipe sa fermeture en raison du changement climatique
Planification écologique : que prévoit le gouvernement côté environnement ?
Faut-il arrêter d’extraire les énergies fossiles du sol ?
Crèmes solaires, pesticides... Ces produits chimiques qui font du mal aux coraux
Es-tu (oui, toi) responsable du changement climatique ?
Peut-on échapper au changement climatique en fuyant en Bretagne ou Normandie ?
10 trucs écolo qui nous ont fait vriller ces derniers mois
Lien copié !
Article enregistré !