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À quoi ressemblera la France de 2050… côté littoral
Nicolas Quénard
🤝 En partenariat avec Surfrider Foundation Europe
Nicolas Quénard
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Le réveil sonne ⏰
Comme chaque matin, ses plaintes stridentes m’arrachent de mes songes et me rappelle qu’il faut que je me lève pour aller gagner ma croûte. Mes paupières sont lourdes, mon esprit encore engourdi et c’est avec un peu de mal que je me traîne jusqu’à la cuisine pour aller me faire couler un café. Sur le chemin, je jette un œil au salon et m’aperçois que la pièce est en chantier ! Visiblement, Mamie s’est couchée tard et elle en a encore profité pour déplacer le mobilier… Elle perd un peu la boule la vieille ! Je décide de prendre quelques minutes pour ranger avant d’aller prendre mon petit-déjeuner. La trappe de secours pour aller sur le toit doit toujours être accessible en cas d’inondation. Bon, normalement il ne devrait pas y avoir de risque pour aujourd’hui mais c’est mon côté stressé qui parle et je n’ai pas envie d’y penser en boucle toute la journée.
Quelques toasts et une douche plus tard, je sors de la maison, enfourche mon vélo et rejoint la départementale à 2 voies la plus proche. Nous sommes à la fin du mois de septembre, l’été est presque fini et les tempêtes hivernales seront bientôt de retour avec les traditionnelles alertes par message des applications météo. Bien que la plupart des habitations soient désormais loin du littoral, quand on habite près de la côte en 2050, c’est obligatoire de bien être au courant du temps qu’il fait dans la région à cette période de l’année. On nous donne même des cours au collège pour apprendre à en maîtriser les moindres subtilités.
Le long du trajet qui m’emmène jusqu’au port, je peux apercevoir au loin la plage, immense, sauvage, avec ses herbiers marins, ses prés salés, ses salicornes et autres végétations aquatiques qui servent de zones tampons contre les vagues quand elles se déchaînent.
D’ailleurs, la fin des beaux jours a également signé la disparition des petits restaurants de plage. Avec leur structure démontable, il ne leur faut généralement pas plus de quelques heures pour plier boutique et ça me fait un peu bizarre de me dire qu’il y a quelques jours encore, je sirotais une bière bien fraîche sur leur terrasse. À la place, des badauds sont en train de faire leur footing ou promener leurs chiens. Il y a même 2-3 surfeurs qui taquinent les vagues de bon matin. Cette plage fait partie de celles qui sont encore publiques mais d’autres plus discrètes sont depuis longtemps interdites à la baignade et à toute autre activité humaine afin de préserver la biodiversité environnante.
Bon allez, encore quelques coups de pédales et je serai enfin arrivé au travail 💪
Après toute une matinée à m’occuper de tâches purement logistiques, on sonne enfin l’heure du déjeuner. Génial ! En plus ma grand-mère m'a préparé un super bento aux algues, mon préféré 🍱
Il y a 30 ans, se lancer dans l’algoculture à grande échelle aurait été impossible en France. Mais aujourd’hui, plusieurs fermes de la région se sont installées le long de la côte et en ont fait leur fonds de commerce. L’algue fait désormais partie intégrante de nos vies car elle stocke une partie du carbone présent dans l’atmosphère, peut être utilisée pour faire du biocarburant ou nourrir le bétail et bien sûr permet de mitonner de bons petits plats qui boostent le système immunitaire.
J’attrape ma fourchette et commence à savourer mon repas. Comme toujours, la première bouchée est un subtil mélange pour les papilles : les algues sont salées, un peu croquantes mais tendres à la fois et elles dansent joyeusement avec le riz dans ma bouche.
Hale, mon collègue de toujours, vient s'asseoir à côté de moi et sort un banal sandwich emballé dans une serviette en papier. Il a la mine renfrognée et soupire tristement.
- Qu’est-ce qui t’arrives ? C’est ton déjeuner qui te déprime comme ça ?
- Très drôle crétin ! Non, c’est mon grand-père. On s’est encore engueulé…
- Laisse-moi deviner, à propos de la ferme familiale, c’est ça ?
- Franchement, je ne le comprends pas ! Une vraie tête de mule ! Déjà il l’avait eu mauvaise quand mon paternel avait décidé d’arrêter d’élever des porcs pour passer aux canards. Mais là, que je décide de me mettre à l’élevage de saumon quand ce sera mon tour de reprendre l’affaire, pour lui c’est l’affront de trop. Dans ma famille on élève des cochons depuis la nuit des temps. Mais bon, il faut bien savoir s’adapter à notre époque, tu penses pas ?
- Si si, bien sûr !
D’ailleurs, quand j’y repense, Mamie me raconte souvent que quand elle était plus jeune, elle détestait les algues. Pour elle, pas question d’aller se baigner dans la mer s’il y avait un risque de se faire chatouiller les jambes par ses dernières. Quand on sait qu’aujourd’hui elle ne cuisine quasiment plus qu’avec ça, on peut dire qu’elle s’est plutôt bien adaptée 😅
Cet après-midi, une équipe de techniciens (dont moi) est détachée pour une mission de maintenance en mer. Une des éoliennes du parc off-shore est en panne depuis plusieurs jours et l’entreprise pour laquelle je travaille a enfin eu l’autorisation de se rendre sur place pour la réparer.
Une fois sur le bateau, chacun de nous vaque à ses occupations et l’embarcadère file tout droit sous un joli ciel bleu. La houle n’est pas trop haute ce qui me rassure un peu, je ne suis pas du genre à avoir le mal de mer mais je n’ai pas non plus envie de rendre mon déjeuner devant les autres 🤢
Lorsque nous arrivons sur la plateforme en acier qui soutient l’énorme hélice au-dessus de nous, je sens mon téléphone vibre au fond de ma poche. C’est un flash info :
« Sur les côtes de Normandie, une falaise vient de s’effondrer. »
Depuis que je suis né, c’est la troisième qui cède sous le poids de l’érosion et sûrement pas la dernière… Quand j’étais petit, ma grand-mère me montrait souvent des cartes postales de ce petit coin de France pour me montrer à quel point il était magnifique.
Quand en 2030, les populations qui vivaient en bord de mer ont compris que la meilleure solution n’était pas de résister face à la montée des eaux mais plutôt de s’y adapter (en construisant les habitations plus loins du littoral, en renaturant les plages pour créer des zones tampons et en arrêtant de construire des digues en dur), les choses ont commencé à aller dans le bon sens. Bon, certains endroits comme Marseille n’ont pas eu cette chance… Les montagnes étant trop proches, elles ne permettaient pas à la cité phocéenne de pouvoir reculer son littoral et malgré les digues qui freinaient la progression des flots, certains habitants ont fini par se retrouver les pieds dans l’eau.
C’est d’ailleurs le cas d’autres villes dans le pays, d’autres endroits où l’être humain s’est tellement implanté qu’il était impossible de tout déplacer d’un coup. Ces gens continuent encore aujourd’hui de “lutter” avec des digues en béton et des brise-lames. C’est dommage, mais ils n’ont pas vraiment le choix 🤷♂
Et c’est une fin de journée pour moi !
La brise du soir caresse mes joues tandis que je pédale tranquillement à travers les rues de la ville encore animée à cette heure. La journée a été longue et je commence à avoir les crocs. J’espère que Mamie a préparé de la soupe de méduses pour ce soir, elle sait que j’adore ça 😋
Sur le chemin du retour, un sentiment de nostalgie m’envahit et me fait dévier de ma trajectoire initiale. Ça fait une éternité que je ne suis pas passé devant l’ancienne maison familiale. Elle se trouve à quelques kilomètres d’ici, au bord de la plage, et je suis curieux de voir jusqu’où l’eau est arrivée depuis ma dernière visite.
Construite durant le siècle dernier, cette demeure qui autrefois appartenait à ma grand-mère est aujourd’hui à l’abandon car menacée par la montée des eaux. Depuis, une loi interdit toute nouvelle construction aussi proche de la mer (et c’est tant mieux) mais ici, dans les Landes, il est encore fréquent de croiser ce genre de vieilles bâtisses inhabitées le long des côtes.
À mesure que je m’approche, les souvenirs affluent dans ma mémoire. Bon, la maison me semble plus petite que lorsque j’étais enfant, mais il s’en dégage toujours cette aura familière, chargée d’histoires et de bons moments passés ensemble.
Je suis en train de garer mon vélo quand je sens une main sur mon épaule qui me fait sursauter.
- Alors, on est nostalgique cousin ? On vient faire un tour devant l’ancienne baraque des grands-parents ?
- Oakes ? Tu m’as flanqué une de ses frousses ! Qu’est-ce que tu fais là ?
- Je travaillais sur un chantier pas très loin. La nuit dernière des petits malins se sont amusés à jouer avec le système de palissades rétractables anti vagues de submersion. Du coup c’est à moi d’aller réparer leurs bêtises… Ils feraient mieux de ramasser les déchets plastique sur les plages au lieu de dégrader des trucs qui coûtent les yeux de la tête !
- Pas faux. Au fait, je me suis toujours demandé, pourquoi on ne l’a jamais vendu cette maison ? La famille aurait pu se faire un peu d’argent avec, tu crois pas ?
- T’étais sûrement trop petit pour t’en souvenir, mais il y a quelques années, les communes ont décidé de racheter toutes les maisons menacées par la montée du niveau de la mer et les ont louées jusqu’à ce que ce ne soit plus habitable.
- Sérieusement ?
- Ouaip ! Et vu qu’avec les assurances c’était un peu compliqué, l’argent des locations allait tout droit dans un fond dédié à indemniser les personnes qui se retrouvaient dans ce genre de situation. D’ailleurs, ils ne devraient pas tarder à venir détruire cette masure pour éviter qu’elle ne pollue le reste de la plage en se dégradant.
- Quoi ? Mais c’est trop triste…
- C’est comme ça. Tu te feras plein d’autres souvenirs avec Mamie dans la nouvelle maison où vous habitez, ne t'inquiètes pas. D’ailleurs, tu devrais filer ! Tu la connais, si elle ne te voit pas rentrer elle va commencer à s’inquiéter. Fais-lui une bise de ma part.
De retour à la maison, une bonne odeur se dégage de la cuisine où Mamie est sûrement déjà en train de s'activer. Hier soir, j’ai ramené tout un assortiment de poissons achetés sur le marché et ça me fait rire car elle me dit souvent qu’à son époque, on ne trouvait ces poissons là que dans les Caraïbes. La faute à la température des océans selon elle. En tout cas je vais encore me régaler 🐠
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