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À quoi ressemblera la France de 2050… côté alimentation ?
Pauline Vallée
Pauline Vallée
Bip bip bip
L’alarme a beau sonner à la même heure tous les jours, ça reste, comme tous les jours, compliqué de se lever. Après une bataille contre moi-même, je finis par sortir du lit et jeter un coup d'œil dehors par la fenêtre : un brouillard bien normand (bien glacial) flotte sur le jardin et le potager.
Et comme quasi chaque matin, je remercie intérieurement Romy et Liam d’avoir refait entièrement l’isolation de la maison en la rachetant dix ans plus tôt. Se réveiller tôt en marchant, jour après jour, sur un carrelage gelé aurait carrément été au-dessus de mes forces.
Ceci dit, il va quand même falloir sortir 🥲 Pull, salopette, grosses chaussettes, bonnet sous le casque de vélo, écharpe, gant (et gilet fluorescent pour les premiers kilomètres). Avant de partir, je passe dans la cuisine pour remplir mon thermos de thé chaud et je laisse le traditionnel petit mot sur l’ardoise, coincée entre thermostat connecté et le calendrier ouvert à la date du 13 mai 2050 :
Pour le menu d’auj :
À toute !
Évidemment, petit choc thermique en poussant la porte, mais je sais que l’exercice va vite me réchauffer. Le jardin se réveille tout doucement : j’entends les oiseaux, le poulailler qui commence à s’agiter.
Les roues de mon vélo-cargo sont par contre les seules à résonner dans les rues de Tourgéville. Il me suffit de quelques minutes pour sortir du village.
Quelques cyclistes me rejoignent en rentrant sur la « départementale vélo » à 2 voies qui nous relie directement à la côte. Des lève-tôt qui, comme moi, vont faire leurs courses ou travaillent à Nouveau-Deauville. Je suis presque arrivée quand le soleil se lève sur la Manche, perçant à travers la brume.
Fini la célèbre promenade en front de mer, la plage et le casino : une partie de la station balnéaire est désormais inondée. Les Deauvillais sont remontés sur les hauteurs et la ville a suivi l’exemple du Havre en se réorientant dans l'aquaculture. Elle est désormais connue dans la région pour ses moules au bouchot, ses palourdes, coques et huîtres, mais aussi, et c’est ce que je vais chercher ce matin… ses algues !
- C’est moi !
Après les courses du matin, me voilà de retour, et je meurs de faim. Romy est accroupie dans la cour à côté du récupérateur d’eau de pluie, entourée de bassines d’épinards à moitié rincés.
- Tu peux me filer un coup de main pour décharger les courses ?
- Je termine ça et j’arrive ! On t’a mis le reste des ingrédients sur la table, m’indique ma sœur en essorant doucement les épinards entre ses mains.
- Cool, merci !
- Faut que je file après mais si besoin d’un truc, sers-toi dans le jardin. Liam est parti chercher le lait chez Lucas, mais il devrait rentrer dans pas longtemps.
Courses rangées, vélo garé sous l’abri de la cour, et petit tour dans la réserve en sous-sol pour chercher le sec (céréales, légumineuses, conserves…). Trente minutes plus tard, je fais le point devant la grande table de la cuisine : épinards, pois chiches, échalotes, ail, œufs, farine de sorgho, sucre… ah, évidemment, ils ont oublié les fraises.
Je file au potager. Exit le brouillard. Le soleil brille et il commence à faire chaud. J’ai jamais tout compris à l’organisation de ma sœur et de son mec, mais les petits panneaux servent à me guider dans les rangées de légumes, herbes aromatiques et arbres fruitiers en espalier, où les poules se promènent en quasi-liberté.
Je finis par les trouver (entre l’ail et les échalotes, je sais pas comment ils ont fait pour les louper) : les belles fraises rouges que mes client·es adorent. J’en remplis deux bassines. Au retour dans la cuisine, deux indices me prouvent que Liam est rentré : les bouteilles de lait frais sur la table, et l’odeur de fumier qui flotte dans la cour et rentre par la fenêtre ouverte. Il en a ENCORE ramené de chez notre voisin éleveur. Ça va être sympa de cuisiner dans cette ambiance 🤢
Quand je me gare (un peu à l'arrache) devant la (poétiquement nommée) zone d’activité économique de Pont L’Évêque, les autres food trucks sont déjà là. Plus que 10 minutes pour tout installer avant que les 200 salarié·es du coin débarquent pour leur pause déjeuner !
Je me dépêche de brancher mon van à la borne de recharge électrique, puis d’ouvrir les battants, ornés du logo « Jade et cie - 100% bio - produits du jardin ». Malgré le rush, j’essaie quand même de m’appliquer un minimum en écrivant sur la grande ardoise :
MENU DU JOUR
Entrée : Salade d’algues et échalotes 1€
Plat : Épinards et pois chiche façon Séville 5€
Supplément oeuf 1€
Dessert : Crème de sorgho 2€
Fraises du jardin 2€
Entrée + plat + dessert : 7€
Le menu est à peine écrit que les premier·ères client·es débarquent.
- Salut Jade ! Ça va ?
- Salut Aaron, et toi ? La matinée s’est bien passée ?
- Un peu nul, avec la tempête d’avant-hier, on a dû gérer plein d’imprévus. Je vais devoir faire un tour dans des exploitations cet aprem pour estimer les dégâts.
- Tu vas devoir prendre des forces ! Je te sers quoi ?
- Une formule complète, avec les fraises en dessert stp, répond Aaron en me tendant ses 3 tupperwares.
Les habitué·es s’enchaînent. J’ai droit comme d’hab à Emma qui râle « Encore du sorgho ? Vous pouvez pas faire de vrais gâteaux avec de la vraie farine ? - Du blé vous voulez dire ? Plus personne fait pousser ça dans le coin, ça consomme trop d’eau, désolé » et Kévin qui tente de demander un supplément viande (le végétarisme a beau être devenu la norme, les plus âgé·es ont encore un peu de mal). Il repart finalement avec une gamelle triple supplément oeuf.
Les files d’attente finissent par se réduire petit à petit. De toute façon, je suis obligée de fermer boutique vers 14h, il ne me reste plus une miette de nourriture à servir. Coup d'œil à la batterie : le van est chargé. Retour à la maison.
- Hé Jade, il est tard ! Oh ! On se réveille.
La douce voix (non) de Romy me tire péniblement de ma sieste à l'ombre du tilleul. Un coup d'œil à ma montre m’apprend qu’il est bientôt six heures. Il faut commencer à penser au dîner…
Je me traîne jusqu’à la cuisine, où les épluchures de ce matin attendent encore, dans des bassines, sur la table. Les tiges d’épinard les moins abîmées feront un très bon pesto pour ce soir, le reste ira dans le compost ou pour nourrir les poules. Liam passe une tête :
- Ah cool, tu cuisines, j’ai faim ! Je croyais que tu nous avais oublié.
- C’est Romy qui m’a réveillée trop tard, elle abuse.
- Elle finit toujours tard les journées de télétravail…
Je ronchonne encore un peu pour la forme en commençant à couper les tiges.
- Et t’oublies pas, on a invité la team ce soir pour la séance ciné, dit Liam en levant le nez de son téléphone. Les derniers épisodes de Nostalgia sont sortis.
La phrase magique me remet immédiatement de bonne humeur.
- Ah cool ! J’avais zappé ! Je vais faire du pop-corn maison, il me reste de l’amarante.
Alors que je pars à la réserve chercher la fameuse amarante et les pignons de pin, un dernier truc me met en joie. J'avais pas capté, mais demain, c’est samedi. Pas de réveil à 6:00… youpi 🎉
Vision de la France 2050
Stratégie nationale Bas-Carbone
Cirad - Comment nourrir la planète en 2050 sans la détruire ?
CNRS - Une agriculture biologique pour nourrir l’Europe en 2050
World Resources Institute - Creating a sustainable food future
ADEME - Recettes des 4 saisons à base de légumes et légumineuses
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